Expo : les natures mortes, au Louvre

Expo : les natures mortes, au Louvre

Paris Vox – L’EXPOSITION « LES CHOSES » PRÉTEND ÉTABLIR LE « DIALOGUE » ENTRE LES ŒUVRES, ENTRE UN GENRE ET LE PUBLIC, ENTRE LES ARTISTES DU PASSÉ ET LES PLASTICIENS CONTEMPORAINS… MAIS, SOUS UN ANGLE RÉIFICATEUR, ELLE NE RÉUSSIT QU’À CHOSIFIER.

Qui est responsable, puisque nous sommes en présence d’une « exposition d’auteur » ? Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art mais aussi présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Et elle nous donne de la nature morte, sinon une lecture politique, du moins une lecture marquée d’idéologie sciences-poèsque qui va jusqu’à lui faire écrire qu’à partir du XVIIe siècle les natures mortes empruntent leurs sujets aux cabinets de curiosité qui « abritent les fruits du pillage colonial des peuples et des territoires », ou que la montagne de choux et carottes de Franz Snyders exprimerait l’aliénation des pauvres maraîchers qu’on voit à l’arrière-plan.

Si une approche économique et sociale de l’art est possible et intéressante, elle semble ici excessivement gauchie et sous cette forme – démonstration de l’abîme qui peut exister entre l’art lui-même et l’histoire qui en est faite –annihiler le trait essentiel du genre : la nature morte est par nature silencieuse et contemplative. Ou faut-il postuler que Laurence Bertrand Dorléac a délibérément choisi de n’en pas tenir compte et d’aller à l’encontre ? Se nourrir des Chardin en silence est refusé au spectateur puisque, non loin de là, est diffusé un court-métrage fait de grincements et de couinements. Les multiples œuvres contemporaines incluses dans le parcours, loin de montrer une continuité comme il est prétendu, montrent l’abandon de toute vie intérieure chez nos « contemporains ». Le bœuf écorché de Rembrandt et le poulet de Ron Mueck ne sont pas de même nature.

Alors faut-il éviter cette exposition ? Non. Muni d’un solide sens critique à l’égard des panneaux et cartels, le visiteur fera son miel d’œuvres variées. Les poissons d’une mosaïque de Pompéi, ceux de Manet, ceux de Courbet ; un navet de Redon, un jambon de Gauguin, des choux de Snyders ; les pantoufles de Samuel von Hoogstraten, les vanités de Bonnecroy ou Gijsbrechts ; les coquillages et coraux de Vallayer-Coster, la desserte de Davidsz de Heem, une tabagie et des lapins de Chardin nous renvoient à la seule question qui méritait d’être posée : comment des artistes suggèrent-ils le spirituel en peignant des choses ? (Jusqu’au 23 janvier 2023.)

Samuel Martin

(Jean-Baptiste-Siméon Chardin, Pipes et vases à boire, dit aussi La Tabagie, musée du Louvre © RMN – Grand Palais (Musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle