Paris Vox – (Tribune) Le Qatar, pourvoyeur des fonds du PSG, est dans l’œil du cyclone suite à la révélation du nombre de morts sur les chantiers de son mondial. Aussi, une question se pose: faut-il boycotter cette compétition ?
Faut-il boycotter la coupe du monde au Qatar ?
La question revient sur le devant de la scène depuis quelque temps eu égard au nombre d’ouvriers décédés sur les chantiers des stades en construction pour cet événement (on estime le nombre de morts aux alentours de 6500), au non-respect des droits de l’homme (et en particulier celui des homosexuels) et au fait que ce pays ne soit pas un pays de football.
Je suis à titre personnel opposé à toute forme de boycott de quelque compétition sportive que ce soit pour des raisons politiques car le sport n’est pas (ou ne devrait pas être; pour être tout à fait juste…) affaire de politique. J’étais ainsi opposé toute ma jeunesse au boycott des rencontres sportives avec l’Afrique du Sud ségrégationniste qui nous a privé de la présence des springboks lors des deux premières coupes du monde de rugby par exemple…
Je passerai rapidement sur le fait que le Qatar ne soit pas un pays de football, c’est justement une des raisons d’être de la coupe du monde d’apporter le football au cœur de régions où il n’est pas un sport majeur, comme cela a été le cas pour la coupe du monde 1994 aux USA.
Si l’on veut parler des rapports que le sport pourrait avoir avec la politique, il est aisé de prétendre que les pays incriminés se servent d’événements sportifs comme propagande ; si l’on ne peut négliger cet aspect, je trouve au contraire qu’aller jouer dans des pays fermés permet d’ouvrir sur le monde ces pays et surtout, boycotter des rencontres pour des motifs politiques pénalise beaucoup plus le peuple que les élites que l’on prétend combattre.
Ces polémiques sont d’ailleurs vieilles comme le monde, les jeux olympiques de Mexico en 1968 se sont tenus juste après des épisodes d’effroyables massacres de la population civile, la coupe du monde de football en 1978 en Argentine sous la dictature de Videla, les jeux olympiques de Pékin en 2008 sur fond d’asservissements d’ethnies minoritaires ( Tibétains ou Ouighours par exemple mais ce sont loin d’être les seules), jeux olympiques d’hiver de Sotchi 2014 ou coupe du monde 2018 en Russie ayant entraîné des expropriations sans grand ménagement pour la construction de stades, la liste est loin d’être exhaustive.
Mais le cœur de mon propos n’est pas là, je perçois surtout une grande hypocrisie de la part de sportifs surpayés par ces mêmes dictatures qu’ils dénoncent. Combien de footballeurs refusent de jouer pour le PSG pourtant propriété du Qatar, pour Chelsea appartenant à l’ex oligarque russe Abramovitch dont la fortune a des origines douteuses ou pour le Milan AC passé sous pavillon chinois ? Qatar Airways est le sponsor maillot de la Roma, du Bayern Münich ou de Boca Juniors et l’a été de Barcelone, Arsenal joue dans l’Emirates Stadium. Si les joueurs voulaient aller au bout de leur logique, ils devraient refuser d’apporter des revenus à ces pays. Combien de sportifs sont sponsorisés par des entreprises pétrolières qui détruisent le delta du Niger au mépris des populations biaffraises ou par des majors de la mode qui exploitent éhontément les populations du sous-continent indien ?
L’exemple de Johan Cruyff ayant refusé de participer à la coupe du monde 1978 en Argentine fait figure d’exception… Et surtout, il est temps de se réveiller, comment croyez-vous que la péninsule arabique s’est bâtie ? Ces conditions de travail inhumaines sont en place depuis des décennies. Doha, Ryad, Abou Dabi, Dubaï, Manama ont été construites sur des monceaux de cadavres. L’armée saoudienne est entrée au Barheïn pour tirer sur la population chiite qui se révoltait. Lorsque vous allez travailler dans ces pays, on vous prend votre passeport et vous n’en pouvez repartir qu’avec l’accord de la société qui vous a fait venir. Dans les années 80, l’émission Thalassa avait réussi à filmer des baraquements de travailleurs pakistanais et Bengalis qui ressemblaient plus à des goulags qu’à des camps de repos. Les travailleurs n’étaient pas mieux payés que dans leur pays d’origine, étaient battus par leurs employeurs et subissaient des cadences infernales par des conditions plus qu’éprouvantes. L’occident droit de l’hommiste agit dans toute sa splendeur, indignation sélective quand il s’agit d’être médiatisé et sans approfondir le sujet (et en se dédouanant de toute entorse à son propre dogme).
Les “instagrammeuses” à Dubaï prennent leurs selfies sur un cimetière, il est temps de s’en rendre compte…
À bientôt.
Pierre Pillerault