Histoire de Paris: le fantôme de l’Opéra

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Le squelette du communard et le lac souterrain.

Le squelette du communard et le lac souterrain : un fantôme bien « réel » ?

« Le fantôme de l’Opéra a existé. Ce ne fut point, comme on l’a cru longtemps, une inspiration d’artistes, une superstition de directeurs, la création falote de cervelles excitées de ces demoiselles du corps de ballet, de leurs mères, des ouvreuses, des employés du vestiaire et de la concierge. Oui, il a existé en chair et en os, bien qu’il se donnât toutes les apparences d’un vrai fantôme, c’est-à-dire d’une ombre. » Voilà ce que clame Gaston Leroux, auteur du Fantôme de l’Opéra. Que faut-il en penser ? Les exécutions de communards organisées par les Versaillais, en 1871, dans l’un des sous-sols de l’Opéra Garnier, et plus encore la découverte du squelette de l’un d’eux, ont alimenté la légende d’Erik, le « Fantôme de l’Opéra ». Et voici comment on découvrit le squelette du communard. Lorsque les progrès du phonographe autorisèrent la « mise en boîte » des voix des chanteurs et des cantatrices célèbres, l’on décida d’enterrer dans les caves de l’Opéra un coffre d’acier contenant les enregistrements des grands morceaux de répertoire sur rouleaux Edison. Des travaux furent donc entrepris dans ce but. Quand les terrassiers défoncèrent le sol, ils découvrirent un squelette que l’on identifia officiellement comme celui d’une victime des événements de 1871. Mais pour Gaston Leroux, il s’agissait bien là du squelette de son terrible fantôme !

Le « lac souterrain ».

Un autre élément concret va permettre à Leroux de créer le cadre de son récit : la découverte d’une nappe d’eau souterraine, sous l’Opéra Garnier. En effet, lors des travaux entrepris pour l’établissement des fondations, Garnier découvrit une immense nappe d’eau alimentée par les infiltrations de ruisseaux souterrains. « Ceux-ci se jetaient jadis dans le bras de Seine qui suivait l’itinéraire de la République à Chaillot par les rues du Château-d’Eau et de Provence. » (Guide de Paris mystérieux, p. 525). Mais Garnier parvint finalement à isoler les sous-sols par un double mur et à créer une cuve dont l’installation n’était pas prévue à l’origine. C’est dans cet endroit que Gaston Leroux décida de situer la « chambre des supplices » d’Erik le Fantôme. Pratiquement, l’importante quantité d’eau contenue dans ce réservoir et son emplacement stratégique (sous la cage de scène) donnent un sérieux avantage aux pompiers au cas où un incendie se déclarerait. L’accès à la cuve est rendu possible par un petit escalier, la surveillance de l’état général de la cuve étant régulièrement effectuée sur une barque. En outre, on trouve dans ses eaux des poissons (jadis des carpes ou des truites, mais ces dernières, plus prisées gastronomiquement, firent l’objet d’une pêche intensive et durent finalement être remplacées par des barbeaux !), nourris par les techniciens responsables du lieu !

Le Fantôme de l’Opéra, entre légende et fiction.

Erik, le Fantôme de l’Opéra.

Ainsi donc, sous l’Opéra Garnier, existerait un immense monde souterrain où évoluerait une créature qui tiendrait à la fois du fantôme et du mort-vivant. Erik est son prénom. Certains disent qu’il vit là depuis des temps immémoriaux, d’autres qu’il fut abandonné en ce sombre lieu par une mère qui ne l’aurait jamais embrassé, tant son aspect est repoussant. Est-il le fantôme de ce communard dont on découvrit le squelette dans les sous-sols de l’Opéra ? A-t-il été élevé, après son abandon, par les créatures de la nuit qui, dit-on, peuplent les souterrains ténébreux de l’Opéra Garnier ? Nul ne le sait. Mais certains affirment l’avoir vu et on le craint. Il apparaîtrait habillé de noir et sa tête serait celle d’un mort. Une étrange et sinistre musique d’orgue s’élèverait parfois des souterrains. Et puis il y a tous ces morts qui devraient leur triste sort à une trop grande curiosité… Au fil du temps, la légende du fantôme prit une considérable ampleur : dans le corps de ballet toutes les ballerines prétendaient avoir au moins aperçu le monstre.

Christine Daaé, l’amour impossible.

Mais dans les ténèbres d’Erik survint bientôt une lumière, en la personne de la jeune et belle cantatrice Christine Daaé. Privées momentanément de leur principale cantatrice, la Carlotta, les autorités de l’Opéra avait dû faire appel à Christine pour remplacer ladite cantatrice au pied levé, dans le rôle de la Marguerite de Faust, alors qu’elle n’avait été jusque là qu’un espoir prometteur. En définitive, son interprétation provoqua un véritable triomphe ! Et l’on chuchota bientôt que les maléfices du fantôme pourraient bien avoir favorisé ce succès inattendu. Mais le fantomatique et monstrueux Erik n’était toutefois point le seul à avoir succombé au charme de la belle et talentueuse Christine Daaé : un certain Raoul de Chagny s’était également épris d’elle. En faisant irruption dans la vie de Christine, Raoul provoqua, bien évidemment, la jalousie et la fureur du monstre qui, tapi dans l’ombre, préparait une revanche d’autant plus inéluctable, qu’Erik restait insaisissable. Ainsi le voyait-on apparaître dans la foule des spectateurs, le visage blême et lugubre, mais lorsqu’on voulait l’approcher, il avait déjà disparu. La légende du fantôme devint si populaire qu’on en vint même, par plaisanterie, à imaginer de lui réserver la première loge n°5. Cette idée cocasse fit suite à un courrier écrit à l’encre rouge et expédié à la direction de l’Opéra : il faisait état de revendications d’un certain F. de l’O. ! Des lettres menaçantes du mystérieux F. de l’O., parvenaient d’ailleurs régulièrement à la direction, le fantôme exigeant notamment le remplacement définitif de la Carlotta par Christine Daaé.

La chute de la Carlotta et l’enlèvement de Christine.

Si les sceptiques se gaussaient de ces apparentes absurdités, d’autres, par contre, commençaient à trembler et à redouter le pire. Mais malgré tous les avertissements et toutes les menaces du fantôme, la direction du théâtre décida de maintenir la Carlotta dans le rôle de Marguerite et la fit se produire dans une salle que l’on pouvait désormais considérer comme « maudite ». Survint la catastrophe : au milieu de son répertoire, la Carlotta poussa un horrible « couac » et put poursuivre. Les spectateurs s’indignaient, quand soudainement, un grand lustre s’écrasa sur l’assistance (cet événement historique se produisit bel et bien en 1896 mais non en 1877, année durant laquelle Leroux place son récit, écrit en 1910), blessant des dizaines de personnes et tuant une malheureuse fille qui était supposée remplacer l’ouvreuse, Mme Giry, qui bénéficiait vraisemblablement des faveurs du fantôme… Christine Daaé, quant à elle, s’était tout bonnement volatilisée !

L’amour perdu de Raoul de Chagny.

Raoul se mit activement à la recherche de Christine. Il apprit bientôt qu’elle était avec son prétendu « bon génie », l’Ange de la musique. Celui-ci, lui dit-on, refusait à Christine le droit de se marier. La pauvre fille était désormais sous l’emprise du Fantôme de l’Opéra. Après une brève entrevue avec son bien-aimé, Christine dut retourner auprès du monstre. Raoul, désormais, entreprendrait tout ce qui était en son pouvoir pour la libérer, en vain. Laid d’apparence, Erik était plus monstrueux encore de cœur. Et Christine devait bientôt le découvrir. N’avait-il pas constitué dans son antre une « chambre des supplices » ? En descendant dans les ténèbres souterraines pour délivrer sa bien-aimée, Raoul put observer Erik et sa captive. Il vit son amour perdu chanter alors que le monstre l’accompagnait de sa musique d’orgue. Christine était désormais la prisonnière et a cantatrice personnelle d’un horrible spectre. Plus jamais elle ne devait revoir la lumière du jour.

Le Fantôme de l’Opéra au cinéma.

-La première version cinématographique de l’ouvrage de Gaston Leroux sortit en salle en 1925 (production : Universal, Etats-Unis). Le film fut réalisé par Rupert Julian. Le rôle du fantôme est tenu par Lon Chaney et celui de la jeune cantatrice Christine Daaé par Mary Philbin. Erik le fantôme apparaît dans ce film sous les traits d’un squelette vivant et c’est probablement là la plus horrible représentation qui en fut faite au cinéma. Elle est, en outre, fidèle à l’œuvre de Leroux : Erik est un être monstrueux qui vit dans les sous-sols de l’Opéra Garnier, il tombe amoureux de Christine Daaé et va intriguer pour lui permettre d’obtenir le premier rôle. En échange, il exige d’elle un amour impossible. Horrifiée par la profonde laideur de son diabolique protecteur, Christine va tout faire pour échapper à son emprise, avec l’aide de son prétendant, Raoul.

-La seconde version cinématographique du Fantôme de l’Opéra vit le jour aux Etats-Unis, en 1943. L’histoire d’origine y est considérablement malmenée. Un certain Erique Claudin (Claude Rains) vient d’être licencié de son poste de premier violon, ce qui doit l’empêcher, à l’avenir, de payer des leçons de chant à sa fille Christine (Susanna Foster). Il finira par tuer un commerçant qui avait refusé de lui acheter ses partitions, avant de se faire défigurer par une cuvette d’acide. Il se cache alors dans les sous-sols de l’Opéra Garnier et entreprend d’enlever sa fille Christine, en pleine représentation, ce qui provoquera, on s’en doute, une sérieuse panique dans l’assistance. Mais un admirateur de la jeune et belle cantatrice, Raoul d’Aubert (Edgar Barrier), découvre un passage secret qui mène aux souterrains où une terrible vengeance est en train de se tramer. Le « fantôme », alias Erique Claudin, alias Claude Rains, apparaît sous les traits d’un homme masqué. Le film a été réalisé par Arthur Lubin.

-La troisième version de l’histoire de Gaston Leroux fut montrée en salle en 1962. Dans ce film britannique, réalisé par Terence Fisher pour Hammer Film Productions, le Fantôme apparaît sous l’aspect d’un être monstrueux au visage couturé. Il porte le nom de « Professor Petrie » (Herbert Lom).

-En 1974, aux Etats-Unis, le livre de Leroux va inspirer un film de Brian De Palma nommé The Phantom of the Paradise, un genre de comédie musicale qui s’éloigne pour une bonne part de l’œuvre d’origine.

-Une cinquième version du Fantôme de l’Opéra fut réalisée aux Etats-Unis, en 1983. Ce film a été réalisé par Robert Markowitz.

-Une sixième version de l’œuvre de Leroux fut réalisée aux Etats-Unis, en 1989, par Dwight H. Little, qui ne trouvera rien de mieux que de transposer la légende de l’Opéra Garnier à Londres. Ainsi, une jeune soprano nommée Christine découvre un manuscrit d’opéra. Alors qu’elle le fait auditionner, elle est blessée par un morceau de décor qui l’assomme. Elle s’incarne instantanément dans le corps d’une diva, Christine Day (Jill Schoelen) qui se produit à Londres, en 1881. Sa beauté et ses prouesses vocales vont séduire un mystérieux homme en noir, qui n’est autre qu’un compositeur dont le visage a été brûlé et qui vit sous l’opéra. Là, notre Fantôme, alias Erik Destler (Robert Englund) rêve que Christine chante pour lui la partition qu’il vient de terminer.

-Il semble qu’une septième version du Fantôme de l’Opéra ait été réalisée, également aux Etats-Unis, par Tony Richardson, en 1990.

-Une huitième version du Fantôme de l’Opéra a été réalisée par Dario Argento, en 1998. C’est la fille du réalisateur, Asia Argento, qui tient le rôle de la jeune cantatrice Christine Daaé, alors que Julian Sands incarne Erik le fantôme. Cette version italo-hongroise n’est pas, loin s’en faut, la meilleure interprétation de l’œuvre de Leroux. Le talent d’Asia Argento et les décors, d’ailleurs souvent lourds et surchargés, ne parviennent pas à sauver ce film de la noyade (dans le « lac souterrain » du Palais Garnier ?). Si la trame suit de près l’œuvre de Leroux, le film nous fait par trop souvent sombrer dans le burlesque (la Carlotta assommée sur scène ; les tueurs de rats montés sur une machine infernale, hybride de « caisse à savon » et d’aspirateur ; le vieux pervers, tué par le fantôme, s’effondrant dans une pluie de friandises…) et le fantôme aux allures de hippie blond est aussi peu convaincant que Raoul, le prétendant de Christine, est fade et impersonnel. On pouvait espérer mieux de l’unique version cinématographique non-anglo-saxonne de l’œuvre de Gaston Leroux. On ne peut qu’être déçu par cette pitoyable contre-performance.

-Neuvième et dernière version du Fantôme de l’Opéra, le film américano-britannique de Joël Schumacher, sorti en 2004. La trame et le cadre imaginés par Leroux à son œuvre sont respectés : l’histoire se déroule à l’Opéra Garnier, le rôle de la cantatrice Christine Daaé est interprété par Emmy Rossum et celui du Fantôme par Gérard Butler.

-Le Fantôme de l’Opéra a également inspiré plus d’une demi-douzaine de comédies musicales.

Gaston Leroux et son œuvre.

Gaston Alfred Louis Leroux est né à Paris, le 6 mai 1868. Avocat de profession, il va se lancer dans l’écriture, ce qui lui permettra d’arrondir ses fins de mois. Il rédige des comptes-rendus pour le journal L’Echos de Paris, puis va devenir le chroniqueur judiciaire attitré du journal Le Matin. Dès 1901, devenu grand reporter, il effectuera de nombreux voyages en France, en Espagne et au Maroc. Il se lancera ensuite dans la fiction en écrivant pour Le Matin, un premier feuilleton nommé Le Chercheur de trésors. Il se spécialisera dans les romans policiers, empreints de fantastique. Parmi ses œuvres principales, on peut citer Le mystère de la chambre jaune (1908), La poupée sanglante (1923) et, bien évidemment, l’ouvrage qui nous occupe ici, Le Fantôme de l’Opéra (1910). Gustave Leroux mourra à Nice, le 15 avril 1927.