Histoire de Paris : Milord l’Arsouille

Histoire de Paris : Milord l’Arsouille

Paris Vox- Redécouvrez les grands monuments de Paris, ses rues, ainsi que l’Histoire, petite ou grande, de la capitale.


« Allez venez Milord… »

Faux Milord et vraie arsouille !

De 1949 à 1965, existait au numéro 5 de la rue de Beaujolais un cabaret portant le nom de « Milord l’Arsouille ». Ce nom faisait référence à un étonnant individu, à un excentrique, nommé Charles de La Battut (1806-1835). Fils naturel d’une Française émigrée et d’un riche pharmacien anglais, il fut adopté par un noble breton, le comte de La Battut (autant dire que l’argent de l’Anglais avait permis d’acheter le titre…). A la mort du pharmacien, Charles hérita de 100.000 francs de rente qu’il s’empressa de dilapider en quelques années. Mais sous le surnom et les déguisements dont ce personnage haut en couleur aimait à se revêtir, les Parisiens crurent, même après la mort de La Battut, reconnaître son contemporain anglais, résidant en France, lord Seymour (1805-1859), ce dont celui-ci se défendit avec acharnement, mais en vain. De fait, c’est à ce dernier que fut longtemps appliqué le surnom d’Arsouille lorsqu’il fréquentait le combat du Taureau de Belleville, car oui, il y eut des combats d’animaux à Belleville ! Mais qu’est-ce qu’une « arsouille », me direz-vous ? Eh bien un mauvais sujet, un débauché de bas étage, un personnage costumé de manière extravagante, mais toujours gentlemen, ce qui semble bien décrire notre faux pair d’Angleterre. Aimant la fête, Charles de La Battut dilapida donc toute sa fortune dans les rues Belleville en trois ans et trois carnavals (1832-1832). Il jouissait d’une popularité sans bornes d’autant plus que, s’il distribuait sa fortune aux quatre vents, au moins le faisait-il avec classe et talent. Rien n’exaspérait toutefois plus notre Milord que d’être confondu avec lord Seymour et, connaissant la boxe anglaise, il ne manquait jamais de corriger ceux qui commettaient cette méprise ! Mais pour rien au monde, il n’aurait enlevé son masque !

Milord l’Arsouille et Edith Piaf à la rue de Belleville.

Notre Milord était une célébrité festive de la Descente de La Courtille, le carnaval populaire de la rue de Belleville, que l’on qualifiait de Bacchanale et où se montrait le Tout-Paris. Ces fêtes clôturaient les trois jours gras du carnaval. Mais après quelques années de ces dionysies, le fleuve d’argent se tarit et notre Milord tira sa révérence. En 1835, malade et ruiné, il quitta Paris pour le Midi et Naples où il mourut anonyme et dégouté qu’on ne cessa de le confondre avec lord Seymour. Sans « Milord l’Arsouille », la fête ne fut plus jamais la même et tous ceux qui, par la suite, tentèrent de l’imiter pour s’attirer la faveur populaire ne rencontrèrent qu’ironie et nostalgie de la part de ceux qui l’avaient connu. La Descente de La Courtille, dont il fut le héros incontesté, ne se remit jamais de sa disparition. La célèbre chanson Milord, fut réalisée et interprétée par Georges Moustaki, dans les années 1950, sur la scène du « Milord l’Arsouille », et reprise magistralement par Edith Piaf, en 1959 : Allez venez, Milord / Vous asseoir à ma table / Il fait si froid dehors / Ici c’est confortable / Laissez-vous faire, Milord / Et prenez bien vos aises / Vos peines sur mon cœur / Et vos pieds sur une chaise / Je vous connais, Milord / Vous ne m’avez jamais vue / Je ne suis qu’une fille du port / Une ombre de la rue…Or, si « Milord l’Arsouille » fut une célébrité du carnaval populaire de la rue de Belleville, une légende tenace prétend qu’Edith Piaf serait, elle, née au n°72 de la même rue, ce qui semble historiquement faux, nous y reviendrons.

La rue de Beaujolais et le cabaret « Milord l’Arsouille ».

La rue de Beaujolais proprement dite.

La rue de Beaujolais, dans le 1er arrondissement, s’étend sur 128 m entre les rues de Valois et de Montpensier. Elle fut ouverte en 1784. On lui donne alors le nom de « passage de Beaujolais » (et non DU Beaujolais !) en référence au titre du comte de Beaujolais, un des fils du duc de Chartres, celui-ci n’étant autre que Louis-Philippe d’Orléans, alias Philippe-Egalité (guillotiné le 6 novembre 1793), propriétaire du Palais-Royal. Entre 1797 et 1814, la rue prit le nom d’ « Arcole », puis, en 1849, celui de Hoche, avant de devenir la rue de Beaujolais.

La rue de Beaujolais par numéros.

N°5 (coin de la rue de Beaujolais et de la rue de Valois) : C’est donc au n° 5 de la rue de Beaujolais que, comme nous l’avons dit, se situait le cabaret « Milord l’Arsouille ». Cet établissement était installé dans un caveau du 17e siècle situé sous les bâtiments jouxtant notamment le Théâtre du Palais-Royal de la rue de Montpensier. Ce caveau est classé monument historique. Au 18e siècle, il abritait le Club des Sauvages. Il prit ensuite le nom de Caveau des Aveugles (1820), de Die Lanterne (1935), de Caveau Thermidor (1949) et, finalement, de Milord l’Arsouille. C’est, dit-on, dans ce caveau que fut pour la première fois chantée La Marseillaise, mais c’est également là que, deux siècles plus tard, Serge Gainsbourg fit ses débuts (fin 1957), chanteur qui, comme on le sait, réalisa une version reggae, aussi contestée que contestable, de l’hymne national. D’autres artistes se produiront au Milord : Guy Béart, Jean Ferrat, Jacques Brel… Le n°5 fait aujourd’hui partie des 5 % des adresses les plus chères du 1er arrondissement (moyenne : environ 17.000 euros le m²).

N°s 15-17 : On y trouve le restaurant Le Grand Véfour. Etoilé au Guide Michelin, c’est l’un des plus anciens restaurants de Paris. Guy Martin, grand chef Relais et Châteaux, y propose une cuisine française de haute tenue, dans un décor Premier Empire. De fait, l’Empereur et Joséphine auraient fréquenté l’établissement, de même que Victor Hugo et Colette qui habita le n°9 de la rue de Beaujolais (de 1927 à 1929 et de 1938 à sa mort, en 1954). Durant une vie aventureuse qui la mena en Amérique, la fit suivre les armées de Dumouriez dans les Pays-Bas autrichiens –en 1793, elle dirigea d’ailleurs le Théâtre de la Monnaie, à Bruxelles- et lui fit frôler la mort durant la Terreur, Marguerite Brunet (1730-1820), alias Mademoiselle de Montansier (à ne pas confondre avec le nom de la rue Montpensier voisine !), profitant de la Révolution, s’installa à Paris, en 1790. Elle prit possession du Théâtre des Beaujolais, situé sous les arcades du Palais-Royal et qui prit bien des noms : Théâtre Montansier, Théâtre du Péristyle du Jardin-Egalité, Théâtre de la Montagne, Variétés-Montansier, et, finalement, Variétés, tout simplement. La Montansier tint également un salon qui communiquait avec son théâtre par un couloir. Ledit salon accueillit nombre de visiteurs historiques (Danton, Robespierre, Desmoulins…) et devint un véritable foyer d’intrigues politiques et amoureuses. En 1806, les Comédiens-Français voisins estimant que e théâtre des Variétés leur portait ombrage, la Montansier se vit obligée de déménager boulevard Montmartre.

N°19 (coin de la rue du Beaujolais et de la rue de Montpensier) : Théâtre du Palais-Royal (rue de Montpensier n°38). En 1637, Richelieu fit élever un théâtre à cet endroit. Molière et Lully se partagèrent la scène entre 1662 et 1773. A la mort de Molière, Lully s’accapara les lieux pour y établir l’Académie Royale de Musique. Cette salle originelle fut toutefois totalement détruite par un incendie en 1781. Le bâtiment fut une première fois reconstruit entre 1786 et 1790, puis en 1830, puis transformé, en 1880, la salle étant décorée, à cette occasion, en style néo-Louis XV. C’est à cette adresse que l’on trouve le péristyle de Joinville, où débute la galerie de Beaujolais, la galerie septentrionale du jardin Palais Royal, qui se termine au péristyle de Beaujolais.

La Galerie de Beaujolais.

La Galerie de Beaujolais est la galerie septentrionale du Palais-Royal. Elle débute péristyle de Joinville et se termine péristyle de Beaujolais.

N°s 79 à 82 : On y établit anciennement le « Café de Chartres », un quartier général des royalistes. Cet établissement devint par la suite le « restaurant du Grand-Véfour » (voir également les n°s 15-17 de la rue de Beaujolais), que fréquentèrent des personnalités aussi diverses que Murat, l’explorateur Humboldt, Lamartine, Thiers, Mac-Mahon et bien d’autres. Au-dessus dudit établissement, au premier étage, on trouvait l’appartement de la Montansier, qui y reçut les hommes politiques célèbres du moment, comme nous l’avons déjà dit. Paul Barras (1755-1829 ; élu député suppléant du Var à la Convention, en 1792, il siègera avec les Montagnards et votera la mort de Louis XVI ; c’est lui qui devait confier à un jeune capitaine d’artillerie nommé Bonaparte, la défense des côtes de Provence) habita le second étage, relié par un escalier à vis à l’appartement de la Montansier.

N°s 83 à 86 : Un restaurant célèbre nommé le « Véry » fut établi en cet endroit en 1808. Il est dit que c’est dans cet établissement qu’un officier prussien exigea un jour une tasse dans laquelle jamais un Français n’aurait bu. Sur ce, un garçon lui apporta un pot de chambre ! En 1859, cet établissement fusionna avec l’établissement du « Grand-Véfour » susmentionné. C’est aussi là que mourut, en 1806, à l’âge de 74 ans, le peintre Jean-Honoré Fragonard (1732-1806).

N°88 : Emplacement d’un restaurant nommé les « Trois Frères Provençaux ». Il fut fondé en 1786 et on pouvait y manger à bon marché. Barras y dîna avec Bonaparte, et Blücher en fit son restaurant favori. Cet établissement disparut vers 1867.

N°s 89 à 92 : C’est là qu’en 1784 fut fondé le café du Caveau (ou du Perron). Le limonadier-cuisinier fut autorisé à y installer le petit canon méridien du Palais-Royal qui, après les événements révolutionnaires fut, en 1799, réinstallé à son emplacement d’origine. Le « Caveau » vit également s’opposer les partisans du compositeur allemand Gluck (1714-1787), d’une part, et du compositeur italien Puccini (1728-1800), d’autre part. Gluck régnait alors sur l’Opéra et jouissait du soutien de Marie-Antoinette dont il avait été le maître à chanter. La Cour et la Ville furent ainsi divisées en deux factions musicales qui s’affrontèrent au Caveau. André Chénier, David, la Montansier ou encore, Hébert, furent des habitués du Caveau. Au-dessus de cet établissement se trouvait le « Salon des Arts », également fondé en 1784. C’était le lieu de réunion d’une société de gens de lettres.

Eric TIMMERMANS.

Sources : « Guide de Paris mystérieux », Les guides noirs, Editions Tchou Princesse, 1979, p.148 / « Connaissance du Vieux Paris », Rive Droite, J. Hillairet, Editions Princesse, 1982, p. 188-190, 200.