Histoire de Paris : des esprits frappeurs et une vierge noire rue Cujas

Histoire de Paris : des esprits frappeurs et une vierge noire rue Cujas

Paris Vox – Redécouvrez les grands monuments de Paris ainsi que l’Histoire, petite ou grande, de la capitale.


Des « poltergeists » durant les travaux de 1846 ?

Le poltergeist -de l’allemand « poltem » (faire du bruit) et « geist » (esprit)- est connu en français sous le nom d’ « esprit frappeur ». Ce terme désigne un phénomène réputé « paranormal » consistant en des bruits divers, des déplacements, apparitions ou disparitions d’objets dont la cause est restée inexpliquée. Or, dans son numéro du 2 février 1846, la Gazette des Tribunaux révéla que d’étranges phénomènes se produisirent durant « les travaux de démolition ouverts pour le percement dune rue nouvelle qui doit joindre la Sorbonne au Panthéon et à lEcole de Droit (lactuelle rue Cujas), en traversant la rue des Grès à la hauteur de lancienne église () » (Guide de Paris Mystérieux, p. 281-282). Là se trouvait le chantier appartenant à un marchand de bois nommé Lerible et jouxtant une maison d’habitation qui, chaque soir, affirmait le journal, était « assaillie par une grêle de projectiles qui, par leur volume et par la violence avec laquelle ils sont lancés, produisent des dégâts tels quelle est percée à jour, que les châssis des fenêtres, le chambranle des portes sont brisés, réduits en poussière comme si elle eût soutenu un siège » (Ibid.). Ces projectiles -des fragments de démolition, des moellons entiers…- étaient d’un tel poids et parcouraient une telle distance que, de toute évidence, ils ne pouvaient avoir été lancés de main d’homme… On s’interrogea longtemps et sans résultat, sur la provenance de ces projectiles, jusqu’au jour où ces phénomènes cessèrent, aussi brusquement qu’ils avaient commencé. Jamais le mystère ne fut éclairci.

L’ancienne rue Saint-Etienne-des-Grés.

L’église Saint-Etienne-des-Grés.

La rue Cujas est une rue du quartier de la Sorbonne, dans le 5e arrondissement, qui longe le lycée Louis-le-Grand. Elle doit son nom actuel à un dénommé Jacques Cujas (1522-1590), jurisconsulte, dont le nom fait référence à la faculté de Droit voisine. Jadis, cette artère se nommait la rue Saint-Etienne-des-Grés. De fait, à l’emplacement de la faculté de Droit se dressait, et ce dès le 9e siècle au moins, un oratoire dédié à Notre-Dame, qui fut bientôt remplacé par l’église Saint-Etienne-des-Grés, dont l’existence est attestée par un acte de 995. Détruite par les Vikings, elle fut reconstruite au 11e siècle, fut élevée au rang de collégiale, puis devint l’une des quatre « églises filles » de Notre-Dame avec Saint-Merry, Saint-Sépulcre et Saint-Benoît. L’église fut fermée le 12 juillet 1790 et détruite en 1792. Quelques restes de ses murs extérieurs et de leurs contreforts ont subsisté jusqu’à l’extension de la faculté de Droit, en 1876. A noter qu’une municipalité de paroisse québécoise (Maskinongé, Mauricie) porte encore aujourd’hui le nom de Saint-Etienne-des-Grés.

Des grés ou des bornes ?

Mais d’où nous vient ce terme de « grés » ? S’agit-il, comme dans le cas de l’église québécoise, d’une référence à la présence dans le sol de roches dénommées grés ? Plus précisément, il semble désormais admis que ce mot est dérivé du terme latin gressis se rapportant à certaines bornes de « grés » dont la fonction était de délimiter les censives ou « territoires fiscaux », soit du roi, soir de Sainte-Geneviève (l’Eglise). D’autres explications, vraisemblablement plus fantaisistes, existent également. Une première veut que ce terme de « grés » soit une allusion à celui d’une famille noble et fortunée qui, dit-on, habitait les lieux : « Ces Messieurs de Grez ». Une deuxième, plus farfelues, prétend que l’origine du nom « grés » vient du latin « Graecis » : Saint-Etienne-des-Grecs, donc, référence à une prétendue origine hellénistique de saint Denis. L’explication « géologique » nous paraît cependant la plus fiable.

Cimetière antique et sanctuaire mérovingien.

Derrière le chevet de l’église Saint-Etienne-des-Grés, existait jadis un cimetière antique. De fait, en 1640, on découvrit à cet endroit des coffres faits de briques et de petites pierres, qui contenaient des cendres. Sous lesdits coffres on trouva également une boîte (qui tomba en poussière lorsqu’on la prit) remplie de médailles d’or et d’argent datant de Constantin (272-337), Constant (320-350) et Constance II (317-361). En 1876, d’autres fouilles permirent de mettre à jour trois sarcophages mérovingiens, de même que les substructions du chevet de l’église, probablement contemporaines du sanctuaire mérovingien.

La Vierge noire de Saint-Etienne-des-Grès.

Notre-Dame de Bonne Délivrance.

Il est peu probable que l’église Saint-Etienne-des-Grés possédât une Vierge noire dès l’origine, quoiqu’on ait pu affirmer. Il semble que la vraie Vierge noire de cette église  soit une statue de pierre plus tardive, haute d’environ 1,50 m et datant probablement du 14e siècle. En voici une description : « La Vierge, fortement infléchie, porte sur le bras gauche l’Enfant Jésus qui tient à la main le globe du monde surmonté d’une croix. Il pose gracieusement la main droite sur le cou de sa Mère. Marie porte un sceptre. La Vierge, voilée de blanc, est revêtue d’une ample robe rouge couverte d’étoiles sur laquelle retombe un manteau bleu roi doublé d’hermine. Ces deux personnages sont coloriés avec naïveté et leurs vêtements taillés dans la pierre. » (« La Vierge noire de Paris, Marie-André, 1958 in Guide de Paris mystérieux, p. 279-280). Au 16e siècle, la « Confrérie de la charité de Notre-Dame de Bonne Délivrance », qui compta nombre de puissants dans ses rangs, dont le roi Louis XIII, et avait pris chapelle en l’église Saint-Etienne-des-Grès prit la Vierge noire pour patronne. Ainsi devint-elle Notre-Dame de Bonne Délivrance. Tous les 1er mai et les 24 août, la Confrérie organisait de somptueuses processions. Ces fastes, reflets de sa puissance financière, lui attirèrent bien des inimitiés et suscitèrent bien des jalousies, aussi fut-elle dissoute, en 1737, par arrêté du Parlement. La grande renommée de Notre-Dame de Bonne Délivrance n’en pâtit toutefois nullement. L’église, quant à elle, fut détruite en 1792.

Les tribulations d’une Vierge noire.

La statue de Notre-Dame de Bonne Délivrance fut mise aux enchères le 16 mai 1791. Une paroissienne de Saint-Etienne, la comtesse de Carignan de Saint-Maurice, en fit l’acquisition pour la somme de 201 livres. Elle l’installa au fond d’un oratoire, à son domicile, l’hôtel Traversière, situé rue Notre-Dame-des-Champs. L’abbé Bailly venait y célébrer des messes clandestines. Mais un jour qu’il officiait, le sol s’effondra sous lui ! La même mésaventure arriva d’ailleurs un autre jour à la comtesse. Comme l’un et l’autre s’en étaient sortis sans une égratignure, on cria au miracle. Mais le véritable miracle, au vu de l’état de délabrement de l’hôtel Traversière, n’eut-il pas été qu’aucun incident semblable ne se produisit ? Quelques années plus tard, la comtesse de Carignan vendit la Vierge noire à la congrégation des Filles de Saint-Thomas de Villeneuve. Les religieuses l’installèrent solennellement dans leur chapelle, située à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue de la Chaise, le 1er juillet 1806. De nombreux fidèles affluèrent, parmi lesquels nombre de personnages illustres, suscitant l’envie des autres congrégations et du curé de Saint-Sulpice, qui tous tentèrent d’en obtenir la garde. Mais rien n’y fit, les Filles de Saint-Thomas de Villeneuve la conservèrent un siècle durant. Le 2 juillet 1906, le pape Pie X accorda à Notre-Dame de Bonne Délivrance les honneurs du couronnement, mais quelques jours plus tard, prolongation (au-delà de la rue de Sèvres) du boulevard Raspail oblige, les religieuses furent expropriées et la chapelle fut abattue. La Vierge noire fut alors installée dans le Pavillon Adélaïde, vestige du château royal de Neuilly (boulevard d’Argenson, 52), où l’on construisit une chapelle (consacrée en 1910) à son intention. Elle y demeure depuis, sur un piédestal, entourée de nombreux ex-voto.

Un mot sur François de Sales (1567-1622).

Il est dit qu’à la fin du 16e siècle, François de Sales, alors étudiant au Collège de Clermont, aimait venir prier Notre-Dame de Bonne Délivrance, en l’église Saint-Etienne-des-Grès. Le jeune homme, dit-on, souffrait de dépression nerveuse chronique. Un jour qu’il sortait du collège, plus abattu que jamais, il alla prier celle qu’il nommait la « Vierge des âmes en peine ». A peine, dit la légende, avait-il renouvelé son vœu de chasteté et promit, s’il se voyait délivrer du mal qui l’accablait, de réciter chaque jour son chapelet, que ses forces lui revinrent instantanément et qu’il se vit guéri dans son âme et dans son corps. Ce « miracle » supposé contribua grandement à l’accroissement de la renommée de Notre-Dame de Bonne Délivrance, que tout le monde, nous l’avons vu, s’arracha bientôt au nom d’une piété toute sonnante et trébuchante. François de Sales, devint un théologien illustre et exerça une influence marquante au sein de l’Eglise catholique. Il accéda au siège d’évêque de Genève et fonda l’ordre de la Visitation. Il écrivit également un grand nombre d’ouvrages dans lesquels il expose sa vision de l’existence. Saint François de Sales est aujourd’hui considéré par l’Eglise catholique comme le saint patron des écrivains et des journalistes, et cela en raison de son usage précoce de l’imprimerie : ses publications imprimées figurent parmi les tout premiers journaux catholiques du monde.

 

Eric TIMMERMANS.

 

 

Sources : Guide de Paris mystérieux, Les Guides Noirs, Editions Tchou Princesse, 1978, p. 279-282.