Paris Vox – Etienne Marcel naquit au début du 14e siècle (entre 1302 et 1310). Socialement, il est issu du grand patriciat urbain, proche du pouvoir. Il s’illustra dans la défense des petits artisans et compagnons qui constituaient la majorité des citadins, face à une noblesse et un clergé qui ne tenaient plus le rôle qui leur était initialement dévoué dans une société féodale à trois ordres : Clergé, Noblesse et Tiers-Etat.
Dans la société féodale en crise, on assiste donc à une montée en puissance de la bourgeoisie qui prend désormais une place prépondérante à tous les niveaux de pouvoir de la société. L’exemple des cités flamandes, italiennes et hanséatiques permet à ladite bourgeoisie de prôner une gestion citadine plutôt basée sur le commerce que sur la propriété foncière. La haute bourgeoisie adopte progressivement des comportements jusque-là réservé à la noblesse. Ne voit-on pas, en 1330, la prévôté organiser un tournoi au cours duquel les bourgeois combattent comme des chevaliers ? Sous le règne de Jean le Bon (1350-1364), les bourgeois qui n’appartiennent pas au cercle restreint du pouvoir et dont la promotion sociale se voit ainsi bloquée, apparaissent comme les plus fervents promoteurs d’une réforme politique qui doit, selon eux, aboutir à une participation plus grande des Etats, aux côtés de la monarchie. Parmi eux, un certain Etienne Marcel.
C’est dans les années 1330 qu’Etienne Marcel, issu de l’une des plus puissantes familles de la bourgeoisie parisienne, va se lancer dans le commerce du drap. Deux mariages fructueux lui permettent de s’enrichir et d’entrer en politique. Il établit de nouveaux liens avec les riches marchands des communes flamandes. Propriétaire de nombreux immeubles à Paris, Etienne Marcel habite rue de la Vieille Draperie, dans l’île de la Cité. Nous sommes alors au début de la Guerre de Cent Ans. Suite à la désastreuse bataille de Crécy (1346), Pierre des Essarts, beau-père d’Etienne Marcel, et Jean Poilevilain, régulièrement employés par le roi pour des mutations monétaires, sont jugés du mauvais gouvernement de la cité et son jetés en prison. Etienne Marcel parviendra à faire libérer son beau-père qui meurt néanmoins en 1349. Doublé politiquement et financièrement par l’un des gendres de ce dernier, qui parvient à revenir dans l’entourage royal dès 1347, au point de devenir l’un des plus proches conseillers de Jean le Bon, et qui, en outre, s’accaparera la totalité de la succession de Pierre des Essarts, soit 50.000 livres, Etienne Marcel rompt avec son milieu d’origine, d’autant que le roi a décidé de se passer des drapiers parisiens et de passer ses commandes directement à Gand, Louvain et Bruxelles.
En 1354, Etienne Marcel n’en succède pas moins à Jean Pacy, prévôt des marchands de Paris. Et fort de titre qui inclut certaines prérogatives militaires, il se posera, dès 1357, en défenseur du petit peuple urbain. On le voit ainsi combattre les troupes du duc de Lancaster, en Picardie, en novembre 1355, et en 1356, il est en mesure de faire réparer et d’en faire construire un nouveau sur la rive droite (centre de Paris, actuels 3e et 4e arrondissements). Etienne Marcel n’est pas forcément opposé aux Valois, pourtant largement discrédités en ces débuts désastreux de la Guerre de Cent Ans et considèrent, bien au contraire, que les intérêts du roi et des milieux financiers convergent. Face à la menace anglaise, le roi Jean le Bon convoque les Etats généraux de langue d’oïl, le 2 décembre 1355, et annonce la levée d’une armée de 30.000 hommes, ce qui n’est pas sans poser nombre de difficultés financières, d’où nouvelle réunion des Etats en mars 1356. Fort de l’armée ainsi levée, le roi de France poursuit le Prince noir qu’il rattrape à Poitiers. Nouveau désastre : le roi renvoie les troupes envoyées par les villes pour le soutenir, car la noblesse doit remporter seule la victoire ! A l’issue de la bataille de Poitiers (19 septembre 1956), Jean le Bon est fait prisonnier par les Anglais. Ayant refusé de fuir, il acquiert cependant un grand prestige et sauve sa couronne. Il n’en n’est pas moins, fut-ce avec les honneurs, désormais retenu en captivité à Londres. C’est son fils, le Dauphin Charles (18 ans), qui assurera la régence. La campagne française étant soumise au pillage par les troupes de mercenaires démobilisé, Charles propose la création d’une armée permanente de 30.000 hommes, ce qui demande de nouveaux efforts financiers.
Lors de la réunion des Etats généraux du 17 octobre 1356, Charles se heurte à une forte opposition, et notamment à celle d’Etienne Marcel, placé à la tête de la bourgeoisie. Les Etats tentent d’accroître leur emprise sur la monarchie. Charles gagne du temps. Mais face aux mesures financières prises (le peuple voit ses loyers augmentés de 25 %), la population parisienne se révolte. Et Etienne prend le parti des compagnons et des boutiquiers contre la grande bourgeoisie et les spéculateurs. Deux conseils cohabitent désormais : celui du Dauphin et celui des Etats. Les difficultés s’accumulent et des voix s’élèvent pour installer Charles de Navarre, alors en captivité, sur le trône de France. Charles est libéré et est accueilli dans chaque ville avec le protocole réservé au roi. Placé devant le fait accompli, le Dauphin ne peut plus s’opposer aux revendications d’Etienne Marcel et de ses alliés. Les Valois sont clairement menacés. Et la guerre civile menace. Mais le Dauphin met en avant l’incapacité des Etats à organiser la défense du pays malgré l’argent prélevé lors des levées d’impôts et retourne ainsi l’opinion publique en sa faveur, contre les Etats. Le chaos s’installe et, de sa prison, Jean le Bon désavoue le Dauphin. De son côté, constatant l’échec de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle contrôlée par voie législative, tente de la faire proclamer par la force, avec Charles de Navarre à sa tête.
Sur ces entre-faits, Jean le Bon cède un tiers ru territoire du royaume de France à l’Angleterre. Cela provoque un tollé dont Etienne Marcel va largement profiter. Il exploite les esprits qui s’échauffent. Un proche du Dauphin est assassiné le 24 janvier 1358. Les partisans du meurtrier et ceux de la victimes s’opposent. Et le 22 février 1358, Etienne Marcel déclenche une révolte armée qui réunit 3000 personnes. Regnault d’Acy, l’un des négociateurs du Traité de Londres, qui a abouti à la cession d’un tiers des terres françaises à l’Angleterre, est poursuivi jusque dans une pâtisserie et égorgé sur place, de même que ses proches. Afin de l’impressionner, Etienne Marcel et sa troupe déboulent dans la chambre du Dauphin, tuent sous ses yeux deux maréchaux et le force à coiffer le chaperon rouge et bleu (les couleurs de Paris), tandis qu’Etienne Marcel se coiffe du chapeau du Dauphin. Politiquement parlant, Etienne Marcel commet une grave erreur en laissant celui-ci en vie, pensant pouvoir ainsi se passer de l’aide de Charles de Navarre. Le jeune Dauphin se révèle un fin politique et jamais Etienne Marcel ne parviendra à exercer sur lui assez d’ascendant. Le Dauphin Charles finit par trouver une occasion de sortir de Paris et d’échapper ainsi à l’emprise d’Etienne Marcel, puis lance la contre-offensive, en s’emparant des portes Montereau et de Meaux qui commandent l’accès à Paris qui se prépare au combat. Eclate, en outre, la Grande Jacquerie de 1358 dont Etienne Marcel va user pour tenter de faire lever l’encerclement de Paris par les troupes du Dauphin. Mais la jacquerie se termine bientôt dans un bain de sang et Charles de Navarre rentre à Paris le 14 juin 1358.
L’essentiel de la noblesse reste toutefois fidèle au Dauphin ; Charles se rallie à Etienne Marcel et s’établit à Saint-Denis. Le Dauphin est à Paris à partir du 29 juin et tente une solution négociée. Mais des mercenaires anglais ont été engagés par le camp d’Etienne Marcel pour pallier à la défection des chevaliers qui ont rejoint, et cela provoque bientôt de graves troubles avec les Parisiens dont plusieurs centaines sont massacrés par les Anglais. Le peuple de Paris se désolidarise d’Etienne Marcel et la suspicion à son égard ne cessera plus d’augmenter. Le 31 juillet 1358, après un signal convenu, il est massacré par la foule avec ses suivants. On retiendra que la prévôté d’Etienne Marcel marqua l’apogée du rôle politique à cette charge. Suite à son échec, les pouvoirs de la prévôté de Paris seront réduits.
Etienne Marcel dans l’Héritage culturel parisien.
a)Etienne Marcel, « héros révolutionnaire » ?
Le personnage d’Etienne Marcel sera politiquement récupéré par la Révolution et présenté comme un « défenseur du peuple ». Ainsi, le 17 juillet 1789, Louis XVI se vit-il dans l’obligation d’arborer la cocarde bleue et rouge (couleurs auxquelles Lafayette ajoutera le blanc, par respect pour le roi) aux couleurs de Paris, rappel du couvre-chef que le dauphin Charles s’était vu également contraint de porter, quatre siècles plus tôt. Etienne Marcel, nous l’avons vu, était issu d’une riche famille marchande et faisait partie d’une caste socialement bien établie. Son action n’a jamais eu pour but de défendre le peuple, qu’il n’a fait que manipuler politiquement à son profit, mais bien de défendre les privilèges d’une caste et ses intérêts propres. Mieux encore, la reine Marie-Antoinette le comptait parmi ses aïeux en ligne directe, par la fille du prévôt, Marie Marcel ! A Bruxelles, l’image du doyen des métiers, François Anneessens, exécuté par le pouvoir autrichien en 1719, fut semblablement récupérée par les révolutionnaires. Au 19e siècle, Etienne Marcel est littéralement élevé au rang de mythe républicain et est présenté comme champion de la liberté et de la nation à l’instar de Jeanne d’Arc et de Vercingétorix. Jusqu’à cette époque, Etienne Marcel et ses Jacques étaient considérés comme des révoltés, destructeurs de l’ordre établi. Mais ses origines bourgeoises en font bientôt un « démocrate » avant l’heure ! On va jusqu’à le nommer « Danton du 14e siècle » !
b)La rue Etienne Marcel.
La rue Etienne Marcel est située entre le 1er et le 2e arrondissements. Ouverte en 1858, elle ne prit le nom d’Etienne Marcel qu’en 1881. Une station de métro de la ligne 4 porte également le nom d’Etienne Marcel.
N°20 : Le quadrilatère compris entre les rues Mauconseil, Montorgueil, Tiqueronne et Saint-Denis fut occupé jadis par la résidence parisienne des ducs de Bourgogne, à savoir l’Hôtel de Bourgogne. En 1402, celui-ci était habité par le duc Jean de Bourgogne, dit Jean Sans Peur. Sans doute le sobriquet de « Sans Peur » donné à Jean de Bourgogne est-il un tantinet ironique, du moins est-ce la conclusion que l’on peut tirer de l’histoire de la création de la tour du même nom. Dans la nuit du 23 au 24 novembre 1407, dans la rue Vieille-du-Temple, Jean tua le duc d’Orléans, son rival de toujours. Trois ans plus tard, craignant la vengeance du fils ou de la veuve de la victime, il fit construire, contre l’hôtel proprement dit, une tour quadrangulaire qui renforçait la défense, déjà puissante, constituée par les restes de l’enceinte bâtie par Philippe-Auguste (règne : 1180-1223). C’est dans cette « chambre de pierre bien tassée, en manière de tour » que Jean Sans Peur allait dormir la nuit. « Dans le tympan ogival d’une des baies extérieures, sur le côté gauche de la tour, étaient sculptés « un fil à plomb et deux rabots ». Ces symboles, que l’on retrouvait sur les habits du duc et sur la livrée de ses gens, signifiaient que, tôt ou tard, les « bâtons noueux » du duc Louis d’Orléans seraient rabotés par le duc de Bourgogne… » (Guide de Paris mystérieux, p.323). La tour Jean Sans Peur constitue aujourd’hui l’ultime spécimen parisien de l’architecture militaire et féodale du Moyen Age, les hôtels de Sens et de Cluny étant d’architecture civile, alors que les tours de la Conciergerie et de la rue du Vertbois sont des reconstructions. La tour est haute de 2 m, longue de 10 m et large de 4,50 m. La construction de la tour n’empêcha toutefois pas Jean Sans Peur de mourir assassiné, en 1419, au pont de Montereau, par les chefs du parti Armagnac. En 1543, l’Hôtel de Bourgogne tombait en ruines et François Ier les fit lotir. Sous Henri III, c’est un seigneur espagnol du nom de Diego de Mendoça, ambassadeur et propriétaire d’une partie est de l’ancien hôtel, qui s’opposa à la destruction de la vieille tour : c’est à lui que l’on doit la conservation de ce précieux vestige du passé. La tour Jean Sans Peur est aujourd’hui classée et peut être visitée. Une salle de spectacle fut construite sur une partie de l’ancien Hôtel de Bourgogne, en 1548. Elle devient, en 1628, le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Elle fut finalement fermée en 1783, parce que trop vétuste et toute la troupe fut transférée dans une autre salle, construite sur l’emplacement de l’Hôtel de Choiseul, qui portera notamment le nom d’Opéra-Comique. Ces fait sont rappelés par une inscription placée au n°29.
N°46 : Immeuble atypique confrontant trois rues : les rues Etienne-Marcel, du Louvre et d’Argout.
c)Etienne Marcel en scène.
En 1879, Camille Saint-Saëns écrit un opéra en quatre actes qu’il nomme Etienne Marcel. Et en 1884, G. Champagne lui consacre une pièce intitulée Etienne Marcel ou le défenseur du peuple.
d)Etienne Marcel statufié.
Le 15 juin 1888, une statue équestre d’Etienne Marcel est inaugurée dans les jardins de l’Hôtel de Ville de Paris. Cette statue fut longtemps cachée aux yeux du public par la végétation, mais en 1999, une violente tempête détruisit cette barrière végétale. La statue est aujourd’hui visible depuis la Seine. L’artiste qui devait réaliser la statue fut choisi en 1882, à la suite d’un concours. Il s’agissait du Toulousain Jean-Antoine Idrac. Mais l’année suivante, il mourut de typhoïde, et le cheval dût être réalisé par un autre Toulousain nommé Laurent Marquestre. Le monument en bronze pèse 4700 kg. L’érection de cette statue découlait d’une volonté de la municipalité de protester contre une décision visant à maintenir ladite municipalité parisienne sous la tutelle du préfet. Mais il fallut attendre l’année 1977 pour que les Parisiens puissent élire un maire en la personne de Jacques Chirac. En 1888, le gouvernement refusa d’assister à l’inauguration de la statue et c’est le préfet Poubelle (qui a donné son nom à cet objet usuel) qui se vit dans l’obligation de se charger de cette tâche !
Un mot sur l’Hôtel de Ville et sa place.
La place de l’Hôtel de Ville fut nommée place de Grève jusqu’en 1830. Elle devait son nom à sa situation près des berges de la Seine, la grève étant un terrain plat composé de graviers ou de sable en bord de mer ou de cours d’eau, la Seine, en l’occurrence. Jadis, il était facile d’y décharger des marchandises arrivant par la Seine. La place de Grève, qui n’avait été jusque-là qu’un lieu désert, fut officiellement établie dans le courant du 12e siècle, en vertu d’une charte du roi Louis VII dit le Jeune et sur la demande des bourgeois de Paris. Le mot « grève » désigne également, on le sait, un arrêt volontaire de travail, mais à l’origine, cela signifiait « se tenir sur la place de Grève en attendant de l’ouvrage ». De fait, lorsqu’un marché s’installa à proximité de ladite grève, les hommes y trouvèrent aisément du travail. Ce port de Grève devait bientôt alimenter tout Paris. La place de Grève fut longtemps un lieu d’exécutions. La première date de l’année 1310, époque à laquelle on condamna pour hérésie une certaine Marguerite Perrette, qui fut brûlée en place publique. En 1246, saint Louis créa la première institution municipale : les bourgeois élirent leurs représentants auprès du pouvoir central –les échevins- dont le chef appelé le prévôt des marchands, fut celui de la puissante hanse parisienne. La maison commune où ils tenaient leurs réunions prit, en 1246, le nom de parloir aux Bourgeois. En 1357, Etienne Marcel, prévôt des marchands, fit l’acquisition de la « Maison aux Piliers ». Ce fut le premier Hôtel de Ville et c’est à cet endroit, depuis, que se dresse le siège des institutions municipales de Paris. Au 16e siècle, la « Maison aux Piliers » est remplacée par un véritable palais dessiné par l’architecte italien Boccador. Ce nouvel édifice sera construit entre 1533 et 1628, puis rénové entre 1837 et 1848, tout en préservant la façade Renaissance. Mais le 24 mai 1871, un groupe de communards allume un incendie qui réduira le palais en cendres. Archives et bibliothèque partent en fumée. Le bâtiment sera reconstruit entre 1874 et 1882, l’actuelle façade de style néo renaissance s’inspirant largement de celle du bâtiment disparu. La façade principale est ornementée de personnages ayant marqué l’histoire de Paris : artistes, savants , politiciens, industriels, ce qui était déjà le cas pour l’ancien hôtel.
Eric TIMMERMANS.
Sources : « Connaissance du Vieux Paris – Rive droite », J. Hillairet, Editions Princesse, 1951-1953-1954, p. 57-59, 115-118 / « Guide de Paris mystérieux », les Guides noirs, Editions Tchou Princesse, 1979.