Paris Vox a le plaisir de proposer à ses lecteurs une sélection des retranscriptions écrites des chroniques d’Arnaud de Robert, diffusées quotidiennement dans la matinale de Radio Libertés.
Le moment de grâce. C’est ainsi que l’on pourrait baptiser la séquence d’une grosse dizaine de jours, commencée au soir du second tour et qui tend à se clore en ce moment. Ce moment de grâce revêt un intérêt majeur pour appréhender la suite et son analyse, dont je vous propose quelques éléments ce matin, me semble essentielle pour comprendre à quoi nous devons nous opposer. Au soir du 7 mais donc, c’est la liesse au Louvres, Macron a gagné. Elites journalistes, monde des affaires, bobos des grands centres urbains, minorités visibles, sociaux-démocrates et libéraux exultent. Voici donc la victoire du nouveau monde sur l’ancien, au prix d’ailleurs d’un bouleversement complet de l’espace politique et électoral. Espace qui, il y a six mois encore, semblait stable, faute de mieux. Et voilà que, selon le story-telling médiatique, un inconnu même pas issu du monde politique vient faire exploser les clivages traditionnels, réduit en cendres des partis politiques pourtant enracinés dans la cinquième république depuis presque cinquante ans. Est-ce vraiment une surprise ? Une nouveauté ? Pas vraiment. Car ce que Macron représente n’est pas nouveau ni neuf. Non, le libéralisme n’a rien d’une nouveauté mais il sait créer l’idée de nouveauté.
Car ce que Macron représente n’est pas nouveau ni neuf. Non, le libéralisme n’a rien d’une nouveauté mais il sait créer l’idée de nouveauté.
Parce que le libéralisme est profondément pragmatique, il est anti-politique. Parce qu’il est rationnel dans sa folie prédatrice, il fonde ses avancées sur des stratégies et non des programmes. Parce qu’il juge que la sclérose politique est un facteur de danger pour la pérennité de son hégémonie, il sacrifie tout un système. Parce que la souffrance des peuples rebâtit un « nous » vindicatif, il asphyxie l’espace électoral d’un individualisme salvateur. Cartésien mais capable d’instaurer une mystique médiatique, le libéralisme oligarchique a donné mission à Macron de détruire l’espoir du retour des peuples. Y est-il arrivé ? En partie oui. Il a réussi à imposer l’idée du compromis, celle du dépassement des clivages, l’idée d’une transgression des habitudes, toutes propres à sauver notre pays. Il a dévasté les vieilles chapelles partisanes, puisé dans leurs ressources humaines, subverti les appareils et imposé l’idée d’un centre central, jusqu’ici aberration dans une France supposée politique et engagée. Il a réussi également à promouvoir l’idée d’une désincarnation de la nation. Avec lui le peuple devient population, le pays un espace, l’Etat une start-up, la culture un ensemble de création, l’Histoire un arbitrage. Oui, Macron et ceux dont il s’est entouré à l’Elysée et au gouvernement représentent parfaitement cette post-modernité qui se veut post-politique, post-nationale, mondialisée et bénéfique. Et ils sont au pouvoir.
Macron et ceux dont il s’est entouré à l’Elysée et au gouvernement représentent parfaitement cette post-modernité qui se veut post-politique, post-nationale, mondialisée et bénéfique.
Fin de l’histoire ? Pas si sûr. Car l’énorme machinerie mise en place pour arriver à ce résultat avait tout de même pour but initial, rappelons-le, de contrer la puissante émergence du retour de l’Histoire, de la mémoire, de la patrie, d’un « nous enraciné ». Si Macron a gagné l’élection, la bataille politique, Marine Le Pen et dans une moindre mesure Mélenchon ont indéniablement gagné idéologiquement. Non pas sur leurs programmes, mal ficelés, dépassés mais dans ce qu’ils représentent, ce qu’ils induisent à savoir la nécessité d’une solidarité du peuple, d’une conscience du « Nous », de la permanence de la patrie comme mythe fondateur, d’une mondialisation douloureuse, insupportable, destructrice d’humanité. Macron le sait et ne présente pas le profil du néo-libéral hors-sol. On aurait tort de le croire déconnecté. A défaut de connaitre son peuple, il connait l’Histoire de France. Il connait les ressorts puissants encore cachés sous l’apparente apathie populaire. Il en d’ailleurs joué avec succès pendant son élection. Mais il en mesure très bien aussi les dangers, lui qui rappelle qu’il est condamné à réussir sinon 2022 sera la revanche du peuple. Macron est l’appendice philosophique du libéralisme. Il n’est pas là par hasard, c’est juste ce profil qui convient à notre peuple. Un homme capable de faire croire que le pouvoir de création réside dans la liberté et non dans l’identité. Là se situe le cœur nucléaire de son projet, là doit se trouver toute notre force oppositionnelle. Seule la souveraineté populaire, la dynamique identitaire, la justice sociale sont en mesure de contrer l’idée que de l’effroyable servitude qu’il génère, le libéralisme pourrait nous offrir un avenir radieux et mondialisé. Nous avons cinq ans, bonne journée !