Paris Vox a le plaisir de proposer à ses lecteurs une sélection des retranscriptions écrites des chroniques d’Arnaud de Robert, diffusées quotidiennement dans la matinale de Radio Libertés.
Au terme d’une folle semaine politique et avant que d’énoncer mon propos, il m’est nécessaire de vous livrer un préambule sur ce que je crois être les cadres de ce réel qui se déroule devant nous. Oui, nous vivons des temps extraordinaires au sens premier du mot. Cette décomposition-recomposition sans précédents a porté au second tour deux improbables challengers. Impossible en effet, il y a encore deux ans, d’oser imaginer un second tour des présidentielles entre un hologramme bancaire et la fille d’un tribun patriote. Il y a et il y aura un jour nécessité – à défaut d’urgence – à se pencher sur ce qui a pu amener à une telle configuration. Mais ce matin, il nous faut encore reparler de ce fameux débat et de ses conséquences. Moins pour ce qu’il s’y est dit que pour ce qui s’y est joué. Et c’est la raison première de ce préambule. Bien sûr, Marine Le Pen, en symétrie paternelle et en gisement d’héritage a reçu de son père ce don tribunitien. Mercredi soir, cette capacité a été à la fois sa force et sa faiblesse. Il parait également évident qu’Emmanuel Macron, en bon produit de synthèse oligarchique, nous ai déroulé non sans couacs, le presque parfait service après vente de l’oligarchie au pouvoir. Dans un affrontement surinvesti, des deux parties si dissemblables ne pouvaient que surjouer leurs rôles respectifs. Issue improbable d’un débat incertain au public plus curieux que partisan, il paraissait bien difficile de désigner un gagnant. Et pourtant, quelques minutes à peine après la fin des hostilités, les jeux étaient faits et Macron était sacré. C’est comme si la campagne prenait d’ailleurs fin. Comme si après mercredi soir, le reste n’était plus qu’une formalité. Mais un Macron vainqueur l’était-il vraiment ? Sacré par la médiacratie oligarchique, soutenu par les élites soumises et/ou intéressées, pouvait-il ne serai-ce que perdre ? Probablement non. Il y a sûrement été aidé par une Marine Le Pen, excessive, outrancière parfois, agressive trop souvent. A cette débauche d’humanité indisciplinée, Macron a répondu en parfait exécutant de la douce raideur des dominants : ton docte, posture professorale, humeur linéaire.
Macron a répondu en parfait exécutant de la douce raideur des dominants : ton docte, posture professorale, humeur linéaire.
Pas même son regard vide et translucide ne manquait à l’appel. Et ce qui fait de lui un vainqueur – aux yeux de l’oligarchie tout autant que dans ceux des pro-Le Pen – c’est cette capacité à absorber les chocs, cette plasticité extrême qui ferait presque douter de sa nature humaine. Macron en lui-même n’est qu’une question mineure. Il pourrait tout aussi bien être remplacé par un pot de fleur ou une raquette de tennis, cela ne changerait rien. Mais ce qu’il produit lorsqu’il est produit par les équipes de l’oligarchie est un modèle de tempérance. Une tempérance vide et proche du zéro absolu bien sûr, mais tout de même une cohérence par le vide des mots, la technicité des méthodes. Face à lui, le chaos, la révolte, parfois l’approximation et l’excès d’une égérie se voulant populaire. Nous savons les Le Pen limités dans cet exercice de face à face. Bons en tribune, forts en meeting, ils n’ont pas la dimension du choc final. Je ne vais pas pour autant charger la mule, et je remercie Marine de nous avoir offert un tel score. Car ce score et ce qu’il suscite, ce qu’il démonte et fait bouger est en lui-même un succès. Non ce n’était sûrement pas et de loin sa meilleure prestation. Si elle un tant soit peu de capacité d’autocritique, elle doit s’en mordre les doigts. Tout comme Macron n’a pas de quoi pavoiser. Le récitant du dogme mondialo-libéral a parfois craqué et révélé sa morgue de classe, son mépris du peuple et du pays, sa haine surtout pour ces millions de gens souffrant de ce qu’il considère comme le seul avenir. De fait, ce débat ne pouvait aboutir. Trop d’écarts, de distance entre les deux entités politiques. J’oserais presque dire qu’il manquait Mélenchon comme trait d’union. Mais au final, c’est le masque de cire qui l’emporte. Non sur ses dires et capacités, mais sur son adéquation systémique. Pour les classes populaires comme pour la bourgeoisie ou les élites, il incarne le « propre», le « rassurant » face à l’expérimentation Le Pen. Cela à suffit. Oui cela a suffi à définitivement qualifier l’énarchie désincarnée, la robotisation bancaire comme fin ultime du politique. Pourtant, avec ses travers et défauts, Marine Le Pen incarne la vie, cette route sublime pavée d’erreurs. Et bien la vie n’aura pas suffi. Ce qui l’emporte c’est le profit. Et cette victoire oh combien symbolique, est finalement la seule qui compte. Une part de l‘essence politique est morte dans la prestation de madame Le Pen. Mais la totalité a succombé au modèle post-politique de Macron. Car pour le peuple comme pour le bourgeois, c’est l’apparente forme de respectabilité même vide de sens qui fait capacité. Le triomphe de l’oligarchie est donc pratiquement assuré pour dimanche. Reste à rebâtir le réel et à fonder le combat sur de nouvelles bases, des bases 2.0. Et il y a du travail ! Bon week-end !