Paris Vox – La Fondation Custodia révèle au public français un artiste inconnu de son temps et de la postérité : Léon Bonvin, dont l’environnement immédiat et prosaïque fut la principale source d’inspiration.
(article) Début 1866, un aubergiste de la plaine de Vaugirard se pend dans le bois de Meudon. Il a 31 ans, est père de trois jeunes enfants. Aubergiste ? Oui, telle est la profession de Léon Bonvin mais aux heures creuses il est musicien et, surtout, peintre – comme son demi-frère François Bonvin, bien connu des milieux artistiques et littéraires. Léon, lui, n’a jamais cherché à se faire connaître. Les raisons de son suicide sont inconnues : difficultés financières, aspirations artistiques inassouvies, problèmes psychologiques ? « Au moment de sa mort seulement, il laissa éclater sa douleur, et un paysan l’entendit dans les bois qui criait : “J’ai trop souffert !” », rapporte Jules Vallès qui écrivit alors un texte plein d’émotion contenue.
Léon avait appris les rudiments de l’art à l’école Bachelier, dans le sixième arrondissement. De ce premier enseignement relèvent les dessins à la pierre noire, de franc parti pris dans leurs oppositions d’ombres puissantes et de faibles lueurs. Les chemins de la plaine, le comptoir de l’auberge avec ses cruches à contre-jour sont d’ores et déjà ses sujets.
Son frère parfit son éducation : « j’ai complété ses études élémentaires en lui imposant le trait à la plume sous son aquarelle, principe tiré de l’observation des peintres hollandais ; en outre, je l’obligeais à tout faire directement d’après nature » (lettre à Philippe Burty, juin 1884). A cette technique mêlant plume, encre brune, aquarelle et gouache, se rattachent les œuvres de la maturité (si l’on peut dire) des années 1860-1865. On reste émerveillé par une série de six natures mortes, œuvres de petit format, sur papier, où l’artiste rassemble choux, céleris, oranges ou grenades, noix, huilier, bouteilles… dans des compositions sans esbrouffe, et tout autant par des bouquets, grêles mais jamais secs (œillets, pervenches, chardons ; bousquets), par de sauvages fleurs des champs, peintes dans leur coin de nature (un bouton de rose), par des paysages où l’artiste cherche à rendre un effet de givre ou de crépuscule.
Sous des dehors qu’un œil superficiel jugerait insignifiants ou impersonnels, apparaît un art complexe et maîtrisé qui dévoile un réel tempérament de peintre, contemplatif à souhait. Un réalisme du quotidien tempéré par la poésie de ce même quotidien. (Jusqu’au 8 janvier 2023. Fondation Custodia, 121 rue de Lille, Paris VIIe.)
Samuel Martin

Léon Bonvin. Nature morte à la grenade, 1864. Plume et encre brune, aquarelle sur un tracé au graphite, rehauts de gomme arabique. – 245 x 187 mm. Baltimore, The Walters Art Museum, inv. 37.1664.