Scandale McKinsey : les préconisations du Sénat

Scandale McKinsey : les préconisations du Sénat

Paris Vox – La commission d’enquête sénatoriale  qui a permis de mettre à jour la scandaleuse affaire McKinsey déplore de façon plus globale  le recours « réflexe” » aux cabinets de conseil privés.

« La crise sanitaire a mis en lumière l’intervention des consultants dans la conduite des politiques publiques. Ce n’était que la face émergée de l’iceberg », observe la commission d’enquête sénatoriale sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, dans un rapport sans concession.  Une tendance lourde (et coûteuse) initiée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy mais qui a explosé sous le règne d’Emmanuel Macron.

Entre 2018 et 2021, les dépenses des ministères en la matière sont passées de 379,1 millions à 893,9 millions d’euros en 2021. Presque un milliard d’euros !

Un chiffre d’autant plus choquant que les méthodes de travail de ces cabinets sont opaques et qu’ils se substituent progressivement à l’administration, prenant quasiment le contrôle de la décision publique comme on a pu le constater pour la gestion du Covid.

La commission d’enquête signale aussi l’intervention des cabinets de conseils pour transformer l’action publique et l’importation de leurs méthodes dans les consultations et ateliers citoyens. Cette « véritable industrie de la consultation » s’est traduite par au moins une quinzaine d’exemples entre 2018 et 2021, dont le montant total approche les 10 millions d’euros (9,86 millions): Grand Débat national (au moins 2,9 millions d’euros de prestations de conseil sur un budget total d’environ 12 millions) ; Convention citoyenne pour le climat (au moins 1,9 million d’euros) ; concertation relative à l’avenir de l’Europe (1,72 million d’euros pour organiser 18 conférences citoyennes dans les régions et une conférence nationale), organisation du collectif “vaccins” de 35 citoyens tirés au sort par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et chargé de faire des recommandations sur la stratégie vaccinale (400 397 euros), Etats généraux de la justice (950 241 euros), Convention managériale de l’Etat, finalement annulée (558 900 euros)…. N’en jetez plus !

Face à cette situation inquiétant non seulement pour les deniers publics mais surtout pour la souveraineté du pays, la commission du Sénat a adopté à l’unanimité les recommandations suivantes :

En finir avec l’opacité des prestations de conseil

1. Pour plus de transparence, publier la liste des prestations de conseil de l’Etat et de ses opérateurs dans un document budgétaire, annexé au projet de loi de finances ; et en données ouvertes, pour permettre leur analyse. Préciser dans cette liste l’objet de la prestation, son montant, le cabinet de conseil sélectionné et ses éventuels sous-traitants.

2. Assurer la traçabilité des prestations des cabinets de conseil en exigeant que chaque livrable précise le rôle qu’ont joué les cabinets dans sa conception ; interdisant aux cabinets de conseil d’utiliser le sceau ou le logo de l’administration. Cette traçabilité devra demeurer en cas de publication de tout ou partie des livrables des cabinets.

3. Présenter les missions de conseil dans le bilan social unique des administrations, pour permettre aux représentants des agents publics d’en débattre.

Mieux encadrer le recours aux consultants

4. Rationaliser le recours aux accords-cadres de conseil, en particulier pour les accords-cadres de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de l’UGAP et uniformiser les conditions de ces recours.

5. Prévoir un examen systématique de la DITP, avec avis conforme, pour toutes les prestations de plus de 150 000 euros (contre 500 000 euros dans la circulaire du 19 janvier 2022).

6. Cartographier les compétences au sein des ministères et élaborer, avec l’appui de la DGAFP, un plan de ré internalisation pour mieux valoriser les compétences internes et moins recourir aux cabinets de conseil.

7. Systématiser les fiches d’évaluation des prestations de conseil et les rendre publiques. Appliquer les pénalités prévues par les marchés publics lorsque le prestataire ne donne pas satisfaction.

8. Les administrations doivent s’assurer contractuellement que les cabinets de conseil auxquels elles recourent respectent l’emploi de termes français tout au long de leurs missions et notamment dans leurs livrables. Le non-respect de ces exigences pourra être considéré comme un manquement au contrat.

Renforcer les règles déontologiques des cabinets de conseil

9. Confier à la HATVP une nouvelle mission de contrôle des cabinets de conseil intervenant dans le secteur public, pour vérifier le respect de leurs obligations déontologiques. Renforcer les moyens de la HATVP pour assurer cette mission.

10. Lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations déontologiques, interdire aux cabinets de conseil de se porter candidats aux marchés publics.

11. Faire signer par les cabinets de conseil, dès le début de leur mission, un code de conduite précisant les règles déontologiques applicables et les moyens de contrôle mis en place par l’administration.

12. Imposer une déclaration d’intérêts aux cabinets de conseil, à leurs sous-traitants et aux consultants, afin que l’administration puisse identifier et prévenir les risques de conflit d’intérêts. En cas de doute, permettre à la HATVP de contrôler ces déclarations d’intérêts et de sanctionner les déclarations mensongères ou incomplètes.

13. Instituer une obligation de déclaration à la HATVP, par les cabinets de conseil, de leurs actions de démarchage auprès des pouvoirs publics. Publier la liste de ces actions tous les ans, en données ouvertes.

14. Interdire aux cabinets de conseil de réaliser des prestations gratuites (pro bono) pour l’Etat et ses opérateurs.

15. Maintenir la possibilité pour les cabinets de conseil de réaliser des missions de mécénat dans les secteurs “non marchands” couverts par la loi “Aillagon” de 2003 (culture, éducation, social, humanitaire, etc.). Pour plus de transparence, déclarer ces missions auprès de la HATVP ry publier la liste de ces missions tous les ans, en données ouvertes.

16. Prévoir un contrôle déontologique systématique de la HATVP lorsqu’un responsable public part exercer une activité de consultant (“pantouflage”), ou lorsqu’un consultant rejoint l’administration (“rétro pantouflage”).

17. Lorsqu’un responsable public devient consultant, l’obliger à rendre compte de son activité à la HATVP, à intervalles réguliers (tous les 6 mois) et sur une période de trois ans.

Mieux protéger les données de l’Etat

18. A l’issue de la mission, prévoir la destruction systématique des données confiées aux cabinets de conseil. En cas de doute, permettre à l’administration de saisir la CNIL pour qu’elle puisse diligenter des contrôles.

19. Faire réaliser par l’Anssi un référentiel d’audit de la sécurité des systèmes d’information attendue des prestataires réalisant une mission de conseil pour l’Etat et ses opérateurs. Faire figurer dans les pièces nécessaires pour candidater à un appel d’offres public l’attestation de réalisation de cet audit.