Paris Vox – Après l’air de la Bretagne, place à l’Europe de Visegrad pour une rencontre avec Ferenc Almassy, rédacteur en chef du Visegrad Post. Il nous parle notamment de la situation en Hongrie et du traitement médiatique local de la gestion de la crise en France.
Comment continuez-vous à faire vivre l’information malgré cette crise sanitaire ?
Tous les membres de notre équipe sont chez eux… mais cela ne change pas grand chose pour nous, à vrai dire, puisque nous travaillons tous depuis notre bureau au domicile. Bien entendu, les rencontres, les entretiens, et la participation à des événements ne sont plus une option. Alors, nous concentrons nos efforts sur le développement du site (du nouveau à venir pour les prochains jours !) et nous mettons en place un système de brèves et de suivi de l’épidémie dans la région centreuropéenne.
Pour le moment, nous ne savons pas, en revanche, combien de temps cela va durer ni quelles conséquences cela aura pour nos financements… comme beaucoup, nous sommes dans une situation plus précaire que jamais, et l’incertitude règne. Mais nous ferons de notre mieux aussi longtemps que nous en aurons les moyens.
Quels sont les mesures prises actuellement en Hongrie ?
La Hongrie n’a pas un système de santé aussi performant que la France. Si nos médecins nous sont enviés par le monde entier, et que nous avons plus de lits par habitants que la France (malgré la diminution de leur nombre par les gouvernements socio-libéraux), une crise sanitaire d’une telle ampleur est un vrai défi.
Ceci explique en partie les mesures radicales du gouvernement conservateur chrétien de Viktor Orbán : mise sous contrôle de l’armée de 140 entreprises vitales au bon fonctionnement du pays (transport, télécommunications, sanitaire, énergie, …), fermeture totale des frontières, décontamination des billets de banque, expulsion des étrangers refusant les mesures de quarantaine, interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes… et tout ça a été pris très tôt.
L’épidémie semble relativement bien contenue pour le moment en Hongrie, encore que les autorités aient déjà annoncé publiquement que la semaine à venir nous fera subir une première vague sérieuse.
Comment sont perçues les décisions prises en France ?
C’est l’incompréhension qui domine. La presse hongroise n’est pas très préoccupée en ce moment par ce qui se passe à l’étranger, et tout va tellement vite qu’il est difficile de suivre – et l’intérêt des gens est très relatif en ce moment à ce qui se passe ailleurs. Mais pour ceux qui tout de même suivent l’actualité française, les ballades de Brigitte Macron sur les quais suivi de ses déclarations sur les Français se baladant sur les quais, les propos de Sibeth Ndiaye, les aveux de Mme Buzyn, le cafouillage des pros de la communication qui en quelques jours passent de “c’est une petite grippe, faut arrêter de s’inquiéter” à “on va tous mourir restez chez vous malheureux”, tout ça donne une image inquiétante du cours des choses en France.
Et puis, il y a les images de pillages, de cohues, de violences et d’incivilité qui viennent en rajouter une couche. L’image de la France prend un coup de plus. Mais nous ne sommes qu’au début de cette crise, et j’ai peur qu’à l’issue de cette épidémie, beaucoup de choses auront changé. La France ne sera plus jamais vue de la même manière en Hongrie et en Europe centrale.
Un mot pour conclure ?
Soyons disciplinés, soyons attentifs aux nécessiteux, et vivons cette crise comme une épreuve de plus durant le Carême. Nos vies ont déjà changé. Il est difficile encore de réaliser, mais je pense que rien ne sera plus comme avant. Non seulement il y aura le choc psychologique laissé par cette épidémie et par les mesures prises, mais il y aura aussi probablement un bouleversement économique, et donc de nos modes de vie, sur tout le continent.
Ici en Europe centrale, on considère que la première victime de la pandémie, c’est l’Union européenne. Les éditoriaux allant en ce sens fleurissent de partout. Ceci dans des pays profondément alter-européens et où les populations sont, dans tous les sondages, plus attachées à l’UE que leurs voisins de l’ouest. La vacuité des institutions de l’Union dans cette crise a été scandaleusement évidente, et cela a marqué durablement les esprits.
La crainte de la récession, des faillites en série, des mesures d’austérité, tout cela jette aussi une ombre sur la sortie de la crise sanitaire – que Viktor Orbán estime être à 5 ou 6 mois d’ici, “si tout va bien”…
Il va falloir aussi être particulièrement vigilant, et là, la presse alternative a un rôle crucial. Si les mesures prises par les gouvernements d’ici et d’ailleurs semblent normales et sont parfaitement acceptables compte tenu de la situation, le gouvernement français semble par exemple déjà profiter de l’occasion pour s’attaquer encore plus aux protections sociales. Vigilance, donc.
Plus que jamais, nos idées, nos convictions, nos capacités et nos personnes sont mises à l’épreuve dès maintenant. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l’histoire contemporaine, nos vies ont déjà changé irrémédiablement et nous allons faire face à des bouleversements en série, certains attendus, et d’autres qui vont nous surprendre, nous déstabiliser. Nous avons rendez-vous avec l’Histoire.