Des inégalités toujours plus grandes : quelles réponses ?

Des inégalités toujours plus grandes : quelles réponses ?

Paris Vox – Les inégalités socio-économiques n’ont jamais été aussi considérables qu’aujourd’hui. Un homme, par ses publications et son aura médiatique, est devenu le « penseur » de ces inégalités : Thomas Piketty. Il est aujourd’hui contesté par un jeune universitaire, Guillaume Travers, qui remet en cause certains de ses présupposés dans une roborative brochure «Pourquoi  tant d’inégalités ? » parue aux éditions de la Nouvelle Librairie. Rencontre avec ce frondeur.

  • Plus que l’analyse du capitalisme de Thomas Piketty vous semblez dénoncer prioritairement ses remèdes. Piketty bon diagnostiqueur et mauvais pharmacien ?

C’est plus profond que cela. Il y a trois choses. Tout d’abord le constat. Piketty constate une hausse massive des inégalités depuis plusieurs décennies et dans la plupart des régions du monde, notamment aux États-Unis. Sur ce point, rien à redire. Ensuite, il y a l’analyse des causes, qui doit amener à prescrire des solutions. Sur ces deux points, son message est très contestable. En gros, Piketty nous dit que nous pouvons tout conserver de la modernité – l’individualisme, l’ouverture des frontières, les droits de l’homme – tout en luttant contre les inégalités. À mes yeux, c’est là le plus gros mensonge : les inégalités sont précisément la conséquence d’un processus historique d’abolition de toutes les différences non-quantitatives. Quand ne subsiste plus qu’un grand marché mondial, quand tout s’achète et tout se vend entre hommes indifférenciés, les seules distinctions qui restent sont les différences de revenus et de patrimoine : les fameuses inégalités. Piketty refuse de voir tout cela, car il reste attaché à l’homme sans racines, sans frontières, simplement pourvu de « droits ». Il refuse de penser toute communauté qui pourrait faire obstacle au marché.

  • Critiquer Piketty, dont l’œuvre est déjà conséquente, en peu de pages : audace, impertinence ou critique ciblée ?

L’œuvre de Piketty est un œuvre-fleuve : deux livres de plus d’un millier de pages chacun, très riches, mais avec aussi beaucoup de répétitions. Tout ce que je dis en peu de pages pourrait bien sûr être développé bien davantage, ce que je ferai d’ailleurs probablement un jour. Mais la concision a ses vertus : par-delà un argumentaire fleuve, qui déborde dans tous les sens, essayer de toucher le cœur de l’argument de Piketty, mettre en lumière la faille fondamentale dont tout le reste découle. C’est ce que j’ai tenté de faire. Ce travail de synthèse permet certes de critiquer Piketty, mais il me semble qu’il permet aussi de mieux le comprendre : nombre de ses lecteurs ne perdent, se noient dans le torrent.

  • Paris, vitrine de l’inégalité ou symbole triomphant du chacun pour soi ?

Les deux vont ensemble. Le cœur de mon argument consiste à dire que l’inégalité est un phénomène moderne. Dans les sociétés traditionnelles, les inégalités monétaires sont peu de choses, puisque le statut social d’une personne est déterminé par d’autres valeurs : le courage militaire, le savoir, l’excellence dans la maîtrise d’un art, etc. Ce n’est que lorsque les communautés ont été dissoutes, que ne subsistent que des individus, que la société est devenu un vaste marché, que les inégalités monétaires nous frappent tant : il n’y a que cela qui subsiste. Inégalités et individualisme sont les deux faces d’une même médaille. Et bien sûr, ce phénomène atteint ses proportions maximales dans les grandes villes (Paris, mais aussi Londres ou New York), simplement parce que c’est dans les grandes villes que la dissolution des communautés traditionnelles a atteint son stade le plus avancé. Dans les grandes villes, tout est anonyme, on ne connait plus son prochain. La seule chose que l’on voit, c’est son sac Vuitton ou ses lunettes Ray Ban. À Londres, les traders qui ont des gros bonus changent de voiture tous les 3 mois, car ils ne veulent pas être vus avec les modèles des autres traders qui ont de plus petits bonus. La même chose se passe peut-être à Paris également.

  • Thomas Piketty suggère la création d’un ensemble euro-africain afin de réduire les inégalités. Les nouveaux bidonvilles qui se reforment au nord de Paris sont-ils les prémices de cet ensemble ?

Piketty, qui est incapable de penser toute communauté enracinée, ne pense qu’à la « communauté mondiale » ouverte. Si on l’écoute, les bidonvilles du nord de Paris ne sont pas prêts de disparaître, et se généraliseront en effet. D’autant plus que les frontières ouvertes permettront toujours aux très riches de partir dans quelques ilots préservés : c’est le rôle objectif que jouent aujourd’hui des villes comme Genève ou Singapour à l’échelle mondiale. En ouvrant nos frontières, tant pour les plus riches que pour les plus pauvres, nous ouvrons la voie à une polarisation considérable des populations à l’échelle mondiale. Des océans de pauvreté et quelques micro-zones préservées avec les sièges sociaux, les meilleures écoles. Mais même ces zones-là n’auront rien d’enviable : ce seront les refuges d’une aristocratie purement financière totalement déculturée, déracinée.

« Les inégalités sont partout, souvent criantes. Faut-il pour autant succomber à l’égalitarisme et promouvoir l’indifférenciation ? Cet essai « coup de poing » bouleverse notre compréhension du sujet. Les inégalités apparaissent comme un phénomène spécifiquement moderne, le fruit altéré d’un monde où les individus ne sont plus reliés entre eux que par des valeurs monétaires. À l’inverse, les sociétés traditionnelles s’inscrivaient dans un univers régi par une échelle de références et de différences, plus qualitatives que quantitatives, toutes imprégnées de valeurs non marchandes. Trop se focaliser sur les inégalités, c’est se condamner à ne rien comprendre du malaise contemporain et s’interdire d’en corriger les effets pervers. De cette analyse brillante, mêlant histoire, philosophie et économie, ressort aussi la critique la plus décapante et la plus profonde des travaux de Thomas Piketty. »

Économiste, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments.

Acheter la brochure : https://www.revue-elements.com/

Disponible à la Nouvelle Librairie, 11 rue Médicis, Paris 5e