Paris Vox a le plaisir de proposer à ses lecteurs une sélection des retranscriptions écrites des chroniques d’Arnaud de Robert, diffusées quotidiennement dans la matinale de Radio Libertés.
C’est un des nombreux sujets que cette campagne électorale des présidentielles nauséabonde n’abordera probablement pas. Il est pourtant le reflet d’une France qui souffre, d’une crise profonde des modes de vie tout comme d’une angoisse populaire bien réelle.
Je veux parler ici du déclin des villes de province, de la mort lente de ces centaines de cités de taille moyenne dont les centres-villes se vident de commerces, de lieux de distraction, de vie tout simplement. C’est un pan millénaire de l’identité française qui disparaît doucement, presque sans bruit. Ceux des auditeurs qui vivent comme moi dans ces villes comprendront douloureusement de quoi je parle. D’après un récent sondage, 10, 4% des commerces de centre-ville sont aujourd’hui fermés, soit le double d’il y a quinze ans. Ici, le dernier cinéma, là la dernière mercerie, là encore l’école ou l’épicerie. Hier, je suis passé devant l’une de mes boulangeries habituelles, une de ces petites boutiques littéralement collées à l’église du quartier. Si l’enseigne dardait encore à l’angle de la rue, la vitrine chaude de pain avait laissé place à des palissades. Les propriétaires retraités n’avaient évidemment pas trouvé repreneur.
Vous allez me trouver un brin nostalgique et les plus hardis appelleront à l’inexorabilité du changement, à l’évolution des mœurs, au nomadisme des jeunes générations. Pas faux. Mais mon courroux ne se situe pas dans le rétroviseur. Hier m’intéresse moins que demain. Je ne pleure pas ce qui était, je déplore ce qui n’est plus parce que cela a été sciemment laissé à l’abandon. Du haut de leur énarchie toute rationnelle, il s’est trouvé des planificateurs, des politiques et des businessmen ces dernières décennies pour penser qu’il fallait concentrer le potentiel technologique et réticulaire dans les grands centres urbains. Ces fameuses métropoles, mégapoles et mégalopoles sur lesquels fantasmes les politiques de tous bords en apprentis pharaons devant des pyramides naissantes. Ce redécoupage, cette restructuration rationnelle et froide réclamait une efficience financière et productive. A cette fin, elle a réorienté les flux d’emplois, les gisements d’entreprises autours de quelques grandes villes.
Que le reste crève, de toute façon le reste est composé pour eux d’arriérés, de rétrogrades, de provinciaux au sens rance que peuvent donner à ce mot les branchés des grandes cités.
Que le reste crève, de toute façon le reste est composé pour eux d’arriérés, de rétrogrades, de provinciaux au sens rance que peuvent donner à ce mot les branchés des grandes cités. France périphérique comme l’a écrit Guilluy mais aussi cœur battant de notre pays. Car, depuis le haut Moyen-Age c’est dans ces villes de province que se sont tenues les plus grandes foires. C’est par elles que tout a circulé : les idées, les modes, le savoir. C’est dans leurs centres-villes foisonnant que raisonnaient les milles métiers de notre peuple ingénieux. C’est dans les petites rues piétonnes que se découvraient les trésors régionaux de la gastronomie de terroir, de l’artisanat local, mais aussi des avant-gardes dissidentes. Des siècles d’histoires et de vie derrière ces murs. S’y promener, y faire ses achats relevaient bien plus d’une pratique sociale que d’un simple besoin économique et matériel. La sociabilité, mot qui aujourd’hui semble s’effacer dans la virtualité, la sociabilité naissait dans cette complexité d’échanges qui faisait la richesse du quotidien. Un monde à taille humaine, au rythme agréable aujourd’hui raillé par les ersatz d’humains pressés qui nourrissent la matrice mondialiste. On n’arrête pas le progrès parait-il, la bêtise non plus visiblement. La moitié de la population française vit encore dans et autour de ces villes. En quoi leur déclin est-il un progrès ? Si cette part de population n’est pas la plus bruyante, c’est tout de même la France qui se lève tôt, celle qui travaille beaucoup et fait tourner le pays. Et lui apporter le progrès consiste à l’agglutiner dans de grands centres commerciaux dans des périphéries anonymes ? Le problème, c’est surtout que ces villes sont administrées pour beaucoup par des gens nourris aux trente glorieuses qui ne jurent que par supermarchés et zones commerciales. La « dévitalisation des centralités urbaines » pour reprendre le vocabulaire chirurgical d’un rapport officiel est préoccupante. L’organique cède devant le système, c’est la liquidation totale. Volets fermés, habitations vides, ne restent que les touristes pour admirer ces musées dormants que sont les centres-villes. Chacun d’entre nous devrait s’en soucier et entrer en lutte active pour la reconquête de nos cités. Là palpite encore une part vitale de notre identité. Bonne journée.