Paris Vox – Dorénavant, Paris Vox publiera régulièrement la retranscription écrite de la chronique de commentaire d’actualité d’Arnaud de Robert diffusée dans la Matinale de Radio Libertés. Aujourd’hui, notre chroniqueur se penche sur l’opération “d’intoxication démocratique” que représente selon lui le concept des “primaires” …
C’est tout de même incroyable cette histoire de primaires. Voilà un machin inventé de toutes pièces ou plutôt importé en grande hâte du monde anglo-saxon et balancé n’importe comment à la face du peuple français et … qui marche. Et qui marche tellement bien qu’autour des primaires plus rien n’existe. En fait ces primaires sont probablement la plus belle opération d’intoxication démocratique en France depuis une vingtaine d’année. Pensez donc qu’il y a encore quelques mois, sur fond d’attentats de masse et de scores très élevés du Front National, la plupart des débats publics, journalistiques et partisans étaient centrés sur la grave crise de la démocratie, de sa représentation, sur l’effondrement de la puissance publique, sur de nécessaires refontes institutionnelles. La France oscillait entre peur et colère, les manifestations étaient violentes et violemment réprimées, l’état d’urgence était dans tous les esprits.
Un beau roman, avec pleins de personnages, une vraie variété de point de vue, des ressorts tragiques comme la sortie de Sarkozy
Et hop les primaires ! Et hop on repart pour une séquence classique de politique à la française. Et quand je dis que cela marche formidablement bien, c’est qu’à mon humble avis cela a été très bien pensé et finement programmé. Je m’étais étonné que la droite valide un système de primaires importé initialement par le Parti Socialiste en 2012. Je trouvais cette décision peu conforme à la philosophie post-gaulliste, je croyais à une manœuvre bassement populiste. Mais j’avais tort. Avec un gouvernement et un président complètement délégitimés, une France en crise sociale, économique et identitaire, il devenait urgent et même vital de déployer une séquence type « les feux de l’amour de la démocratie ». Un beau roman, avec pleins de personnages, une vraie variété de point de vue, des ressorts tragiques comme la sortie de Sarkozy. Bref, de quoi sauver un système au bord du gouffre tout en volant la présidentielle aux socialistes moribonds, fragmentés et sans leaders. Et je le dis encore, ça a formidablement marché. Dopés par les débats télévisuels, les stratégies à trois bandes et l’ouverture du vote à tous, les français sont tombés en masse dans le panneau. Pas moins de quatre millions de votants pourtant cocus du libéralisme partagé par tous les prétendants. Sacré score. Du coup, le second tour ressemble de plus en plus dans l’esprit des français à un vrai second tour des présidentielles. Avec un Juppé qui figure l’aile gauche du dispositif et un Fillon qui récupère le pôle droitier. Et de fait, la droite thésaurise pour elle seule l’échiquier politique, renvoyant tous les autres protagonistes sur la périphérie et les condamnant à commenter les primaires pour survivre médiatiquement. Je le répète, le coup est excellent. Les gens sont d’ailleurs persuadés que celui qui sortira vainqueur sera président.
Etonnant de penser que celui qui sortira des urnes dimanche n’aura même pas besoin d’une majorité du corps électoral français, il sera LE candidat.
Etonnant de penser que celui qui sortira des urnes dimanche n’aura même pas besoin d’une majorité du corps électoral français, il sera LE candidat. C’est comme si tous les autres n’existaient plus, étaient déjà battus. La presse joue un rôle déterminant dans ce dispositif avec ces sondages et études prospectives montrant Fillon battant marine Le Pen, Hollande ou Valls. Elle conditionne par avance les mental des votants. Sacré hold-up d’une oligarchie qui démontre bien qu’elle n’est jamais aussi inventive que lorsqu’elle est menacée. Et tout le reste n’a plus aucune importance : l’état d’urgence, les effroyables attentats, les guerres au Moyen-Orient et en Ukraine, les migrants, le chômage, le terrorisme international, le coup d’Etat d’Erdogan, l’islamisme radical, le burkini … tout cela a tout bonnement disparu. C’est à se demander si les djihadistes n’ont pas eux aussi fait une pause pour aller voter. La démocratie était il y a six mois au bord du gouffre. La voilà aujourd’hui revigorée, à nouveau légitime, on est reparti pour un tour. Et le plus extraordinaire, le plus déprimant aussi, c’est que cette opération se fait grâce au concours de tous démocrates, radicaux, électeurs FN ou Front de Gauche, tous dans un bel unanimisme castrateur. Chapeau ! Le Brexit, l’élection de Trump, le groupe de Visegrad nous promettaient des bascules d’envergure. Mais la perspective en mai prochain d’un plateau présidentiel avec Juppé, Fillon, Macron, Hollande ou Valls douche quelque peu les espoirs. Et il va falloir bien plus qu’une rose bleue pour secouer tout cela. Bonne journée !