Mort dans la haine (virtuelle)

Mort dans la haine (virtuelle)

Paris Vox – Dorénavant, Paris Vox publiera régulièrement la retranscription écrite de la chronique de commentaire d’actualité d’Arnaud de Robert diffusée dans la Matinale de Radio Libertés. Aujourd’hui: mort d’un torero et déchainement de haine sur les réseaux.


 

Cher Arnaud, j’aimerais revenir ce matin sur le décès il y a quelques jours du jeune torero de 29 ans Victor Barrio encorné à mort par un toro dans les arènes de Madrid. Au-delà de son caractère spectaculaire et exceptionnel – puisque c’est la première fois depuis trente ans qu’un Torero succombe en pleine corrida majeure – cette mort tragique aurait pu rester dans le domaine du fait divers insolite comme il pleut des pages chaque jour dans la presse. Mais c’était sans compter sur le déferlement de haine des anti-corrida qui n’ont pu retenir leur joie et ont piétiné, virtuellement du moins, la mémoire de cet homme. « Bien fait pour ta gueule connard », « Un salopard de moins sur terre », « un fils de pute en enfer » (je rappelle au passage que la maman du défunt n’est pour rien dans les choix de vie de sa progéniture) « J’aurais voulu qu’il souffre encore plus », j’en passe et des plus violentes et des plus sordides.

Le déferlement de haine des anti-corrida qui n’ont pu retenir leur joie et ont piétiné, virtuellement du moins, la mémoire de cet homme

Entendons-nous bien, je ne viens pas rouvrir ici le sempiternel débat entre pro et anti-corridas. D’ailleurs, je le dis clairement je n’aime pas la corrida. Ayant eu l’occasion plus jeune d’en voir quelques-unes dans le Sud de la France, je crois pouvoir comprendre l’engouement, la passion et même le caractère, je devrais dire la force tragique de ce spectacle. Mais je ne l’aime pas. Et dans cette chronique, il n’est finalement pas vraiment question d’aimer ou pas la corrida. Le débat opposant de toute façon deux groupes de passionnés ne peut que tourner à l’imprécation. Non, ce que je voudrais mettre en avant c’est bien plutôt un nouveau trait d’anomie qui parcourt la civilisation occidentale, trait que j’appellerai néo-nihilisme. Ce néo-nihilisme invertébré – produit direct d’un confusionnisme savamment entretenu, du relativisme enseigné à l’école et du principe égoïste fondant le libéralisme planétaire – est en train de passer au stade épidémique grâce au facteur puissant de dégradation de l’esprit et de verticalité de l’être qu’ est la virtualisation de tous les rapports sociaux. Rien ou presque n’étant plus vécu en direct, avec d’autres, dans le réel, la majeure partie des occidentaux remettent la totalité de leur vision du monde entre les mains du magma pulsionnel et plus ou moins informatif qu’est internet. Ce qui aurait dû rester un outil devient le monde et fait émerger un nouvel être détestable. Détestable oui, car aux antipodes des vertus de l’homme européen que sont par exemple la distance, le respect, l‘humilité, la tempérance. L’occidental post-moderne s’incarne de plus en plus dans un petit être à l’ego boursoufflé, omniscient, dictateur permissif de lui-même, schizophrène autorisé par la bien-pensance freudo-gauchiste.

notre lilibobo ne peut pas comprendre grand-chose à la pudeur, à la retenue, au respect du débat, des morts, au respect tout cours d’ailleurs

Peu importent la cause et les enjeux, tout se résume à une violence verbale et scripturale d’autant plus abjecte qu’elle ne vit que dans la virtualité du flux et n’a donc aucune prise sur le réel. Sur ce point au moins, le jeune torero mort est infiniment plus respectable, lui qui a vécu pleinement, réellement jusqu’à l’ultime moment ce qu’il croyait être une tradition. Mais derrière l’étrange lucarne de son PC notre lilibobo ne peut pas comprendre grand-chose à la pudeur, à la retenue, au respect du débat, des morts, au respect tout cours d’ailleurs. Il trouve ce respect suspect, presque fasciste. Au nom d’un monde meilleur (lequel tiens, au passage ?) il veut imposer le dogme post-moderne et nier le réel ou quand Gandhi côtoie Pol Pot et Mandela. Finalement cette haine institutionnelle est même cannibale parce qu’elle tue par avance toute possibilité de débat constructif et productif, fusse-t-il brûlant comme celui de la tauromachie. C’est peut-être en fait ce que veut l’oligarchie, cela lui permet d’interdire sans explications ni motifs.
Bref, honnêtement devant tant de morgue et de haine, on se prend parfois à rêver d’un retour des combats de gladiateurs, ce qui nous permettrait de voir ce que le petit censeur servile du virtuel pourrait donner dans le réel. Mais on peut toujours rêver, bien sûr …