En France, chaque année, des centaines, voire des milliers, de voitures de prolos sont intentionnellement brûlées par des racailles, un peu partout en France et en particulier dans les banlieues les plus déshéritées de l’hexagone et dans lesquelles, on l’oublie parfois, essayent encore de survivre un certain nombre de petits blancs et, plus globalement, de braves gens. Dans l’indifférence générale, absolue.
Ces autodafés sont devenus des coutumes, presque des traditions, que les médias évoquent avec ennui, d’un simple point de vue comptable, comparant froidement les statistiques d’une année par rapport à l’autre. Mais il suffit, un jour, que quelques manifestants belliqueux incendient, à Nantes, une Porsche garée le long d’un trottoir et l’on change immédiatement de registre, de gravité. On tire la sonnette d’alarme, les médias tirent en première page, on interroge la victime, sa famille, on ausculte leur « traumatisme », on compatit à leur « peine » et à leur « colère ». Les voitures de police (payées par les crétins de contribuables…) et les autolib’ (qui servent à ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter de véhicule personnel…), cramées les jours précédents dans le désintérêt le plus complet, auraient vraiment de quoi se montrer jalouses. Mais, avec la Porsche, l’incendie d’automobile se métamorphose pour devenir un crime terrible, un crime contre le temps, contre l’esprit du temps. Peut-être le pire de tous. Car en s’attaquant à une Porsche c’est au rêve plus ou moins secret, plus ou moins honteux, de tout un peuple, de tout un pays, auquel on s’attaque ! C’est à l’aspiration au luxe et au bling bling du smicard, de l’ouvrier et de l’employé de bureau que l’on s’en prend ! C’est le symbole de la réussite et du bonheur que l’on blesse, que l’on souille ! A quoi pourrait-on encre rêver dans un monde où même les gens qui roulent en Porsche ne sont plus en sécurité ? Les incendiaires de Nantes sont des salauds et des criminels car – contrairement aux racailles banlieusardes qui n’attaquent jamais le monde privilégié et luxueux auquel ils fantasment d’accéder – ils ne respectent pas l’argent et ces signes extérieurs. Ils s’excluent donc des bornes communes, et des désirs partagés. Peut-être est-ce par jalousie revancharde et par envie refoulée. Peut-être. Mais peut-être pas. On n’est pas obligé d’admettre systématiquement les explications psychanalytiques du cinglé en chef Freud. Peut-être est-ce un véritable appel à la décence, peut-être est-ce un vrai acte de « guerre des classes », une véritable façon de dire qu’un monde où des gens qui survivent dans des taudis avec le RSA cohabitent avec d’autres qui mettent 60 000 euros (ou encore plus…) dans un tas de ferraille n’est pas tenable, n’est pas supportable, pas viable à long terme, que les différences de qualités, de travail, de chance, de mérite – qui doivent être bien sûr être récompensées – ne peuvent pas pour autant justifier des inégalités aussi énormes, insanes, écrasantes… De tout façon, dans le doute, il faut condamner ces pyromanes, et sévèrement, car ils sortent de leur rôle habituel et le crime de lèse-majesté est trop important. D’ailleurs, les réactions scandalisées que l’on peut observer, à tous les coins de l’échiquier politique, montrent bien quels sont les véritables totems modernes. Alors fini de jouer, fini de rigoler. Casser les vitrines de petits commerçants de Bastille à Nation, passe encore, mais on ne touche à la dernière ambition, la dernière chimère, de l’occidental de 2016. A son ultime phare dans la nuit.
Xavier Eman