Indignation sélective, exemple type : “l’affaire Sala”

Indignation sélective, exemple type : “l’affaire Sala”

Paris Vox – (Tribune) Les supporters niçois n’ont pas la chance d’être chroniqueur sur le service public, de ce fait pas le droit à l’ironie et à l’humour noir.

« C’est un argentin qui ne nage pas bien, Emiliano sous l’eau » ; est le chant lancé par la tribune populaire Sud de Nice lors du match suivant la défaite des azuréens en coupe de France face aux nantais. Ce chant parodiait celui des canaris « c’est un argentin, il ne lâche rien, Emiliano Sala » rendant hommage à son attaquant mort tragiquement dans un accident d’avion alors qu’il venait d’être transféré de Nantes à Cardiff.

Au risque de surprendre les néophytes, ce type de comportement est assez banal dans le milieu du football qui ne brille pas toujours par sa finesse il faut bien l’avouer. En étant loin d’être exhaustif, on peut se souvenir de la banderole parisienne « chômeurs, consanguins, pedophiles, bienvenue chez les chtis » visant les lensois, celle des marseillais « trois ans sans Julien, trois ans qu’on est bien » faisant référence au décès de ce jeune supporter parisien abattu par un policier ou de celle des lyonnais à l’adresse des stéphanois « quand vos grands-pères travaillaient dans les mines, les nôtres inventaient le cinéma ». Si, en règle générale, des voix font entendre leur indignation, je n’avais jamais assisté à tel déferlement vindicatif à l’encontre des supporters niçois. Christophe Galtier, l’entraîneur azuréen : « on dit que les tribunes sont le reflet de la société, si c’est ça notre société, on est dans la merde ».

L’émission after foot sur RMC parle de bannir à vie de stade les supporters identifiés comme ayant chanté ce chant, le capo l’ayant lancé est d’ailleurs déjà interdit de stade. Un commentateur télé a même osé dire « alignez les contre un mur et qu’on les mitraille ! » Alors, je veux bien que l’on trouve ce chant abject, que l’on ne comprenne pas ou ne soit pas réceptif au deuxième degré (car c’en est, cette même tribune avait rendu hommage à Sala au moment de sa mort) mais n’y a-t-il pas quelque chose de nauséabond à voir le monde du football tomber à bras raccourcis sur cette tribune au moment même où il s’apprête à aller jouer une coupe du monde dans un pays qui ne brille pas par son respect de la vie humaine ?

Ce monde condescendant qui brasse des sommes indécentes pour des joueurs aux valeurs plus que discutables est bien mal placé pour s’ériger en donneur de leçons. Mais allons au-delà du monde du football, Monsieur Galtier s’indigne-t-il de la même façon lorsque Stephane Guillon ironise sur le décès de la mère de Nicolas Dupont Aignan entre les deux tours de la présidentielle 2017 en lançant qu’elle était morte pour ne pas voir ça (son ralliement à Marine Le Pen, vous l’aurez compris), lorsque Daniel Morin joue les admirateurs d’Émile Louis dans ses sketchs sur France Inter ou lorsque Charlie Hebdo sort en une un dessin représentant des victimes du tremblement de terre de 2016 en Italie sous forme de lasagnes ?

Encore une fois, je comprends très bien que l’on puisse ne pas apprécier ou même être ulcéré par ce genre de propos, mais de grâce, remettons les choses à leur place. Est-ce que ça mérite vraiment tout ce battage médiatique ? N’y a-t-il vraiment rien de plus grave autour de nous ? Au lieu de jouer les Fouquier Tainville, les grandes consciences de ce monde, feraient mieux de se regarder dans une glace et de remettre de l’ordre dans leurs priorités d’indignation avant de précéder la législation avec leurs sanctions. Car c’est là le nœud du problème ; pour reprendre vos mots, Monsieur Galtier, moi je pense qu’on est dans la merde quand l’indignation condamne des actes non délictueux sur l’autel de la vertu.

Pierre Pillerault