Paris Vox – Les chantiers du Grand Paris Express, ce sont 200km de tunnels, 68 nouvelles gares et 45 millions de tonnes de déchets extraits des sols pour les créer. Face à toutes les nuisances ainsi générées en milieu urbain, les entreprises en charge des travaux cherchent et trouvent des solutions.
Le Grand Paris Express bat tous les records. Et c’est en coulisses que tout se joue. En 15 ans (2015-2030), ses multiples chantiers produiront 45 millions de tonnes de déchets. « C’est une quantité considérable, qui entraîne une hausse de 10 à 20% de la quantité de déblais générée chaque année en Ile-de-France », chiffre Frédéric Willemin, directeur de l’ingénierie environnementale à la Société du Grand Paris (SGP), entreprise publique et maître d’ouvrage de l’opération. La présence même des chantiers, l’évacuation de ces millions de tonnes et leur revalorisation, et leurs nombreuses sources potentielles de nuisances sont un défi commun pour tous les acteurs : les entreprises du BTP, les riverains et les élus locaux. Un défi certes, mais un défi ayant poussé les industriels de la construction à innover. « À travers ses appels d’offres, la SGP a pour vocation de stimuler l’innovation et de jouer un rôle central dans ce qui pourra devenir une économie circulaire majeure », poursuit Frédéric Willemin. Voyons comment.
Les nuisances, un enfer potentiel pour les riverains
Les nuisances des chantiers du GPE sont évidemment multiples : le bruit vient immédiatement à l’esprit, surtout dans des zones urbaines densément peuplées, les pollutions atmosphériques… La SGP y a pensé et a donc inclus dans son cahier des charges à destination des entreprises du BTP des règles très strictes. « Le bruit génère de la souffrance, nous devons être à l’écoute des habitants qui vivent en première ligne, explique Isabelle Rivière, directrice des relations territoriales à la SGP. La question de l’émission du bruit s’est posée dès la conception du projet. C’est à ce moment que l’on a réfléchi à la façon de mener les travaux, pour savoir quelle machine utiliser et quels outils développer pour informer le public. »
C’est aux bâtisseurs qu’a été dévolu le rôle de trouver les parades à ce défi majeur. Cela s’est traduit par exemple par des capots antibruit sur les machines de chantiers ou par l’utilisation de camions roulant au gaz plutôt qu’au diesel. « Les nuisances peuvent être de plusieurs natures, comme le bruit, le trafic ou la poussière, souligne Benoît Maureau, directeur opérationnel chez Eiffage Génie Civil. En ce qui concerne le bruit des chantiers, nous capotons le plus possible tous les moteurs thermiques ; si nous pouvons passer sur des moteurs électriques, c’est évidemment mieux. Pour des mesures de sécurité, les engins de chantier sont équipés de klaxon de recul qui font un bruit bien spécifique et qui peuvent être pénibles pour les riverains. Nous faisons donc tout notre possible pour mettre en place un flux de circulation sur nos chantiers permettant d’utiliser le moins possible la marche arrière. Nous avons également remplacé sur nos véhicules ces klaxons de recul par ce que nous appelons un ‘cri du lynx’, qui est une alerte plus atténuée… Croyez-moi, tous ces détails comptent et font la différence pour les riverains. Je trouve d’ailleurs qu’il y a eu une vraie prise de conscience des acteurs du BTP sur ce point depuis plusieurs années, et nous avons fait de nets progrès dans ce domaine. » Avant leur sortie de chantier, les roues des camions sont également nettoyées pour éviter de souiller les routes environnantes.
Toutes les communes concernées par les travaux ont dû faire face à ces aléas, le dialogue avec les représentants des collectivités locales – initié par la SGP et par les entreprises de BTP – ont été au cœur de la stratégie de communication du chantier du siècle en Europe. Et toutes les entreprises de construction ont mis en place une communication directe avec les acteurs locaux. « La force de notre engagement en faveur du développement durable est qu’il part de la réalité du terrain, précise Patrick Fila, directeur QSE chez Demathieu Bard, un autre acteur de la construction du futur métro francilien. Nous travaillons avec l’ensemble des parties prenantes pour ne mettre en œuvre que les actions réalistes et durables. Un chantier de construction entraîne potentiellement des nuisances pour les compagnons, les éventuels occupants du site, les riverains et les passants, Chaque projet fait l’objet d’un PRE (plan de respect environnemental), élaboré dès la réponse à l’appel d’offres, qui anticipe les nuisances et décrit les procédures pour les atténuer, voire les supprimer. »
La vie des déchets n’est pas un long fleuve tranquille
La gestion des millions de tonnes de déchets était évidemment au menu des premiers appels d’offres du Grand Paris Express, le pic d’évacuation ayant été atteint en 2020-2021. Là aussi, les industriels ont mis en place des solutions adaptées au terrain, pour limiter la gêne aux riverains et les émissions de gaz à effet de serre. « Concernant l’évacuation des déchets de chantier, la SGP nous aide et nous encourage à trouver des alternatives à la route, poursuit Benoît Maureau. Si un chantier est localisé près d’un cours d’eau, il est préférable d’utiliser des péniches ; si l’on est à proximité du réseau ferré, c’est mieux de se raccorder et d’utiliser le train. Mais ces alternatives ne sont pleinement intéressantes que lorsque ces barges apportent à l’aller sur le chantier du sable ou des matériaux et repartent à plein avec des déblais de chantier. Les enjeux sont grands. »
Autre acteur des chantiers du Grand Paris Express, la société Edeis – spécialisée dans l’ingénierie et la gestion d’infrastructures complexes – intervient sur la partie immergée de l’iceberg que constitue la logistique de construction du GPE. Selon son président, Jean-Luc Schnoebelen, « la SGP a mis en place une démarche d’écoconception sur l’ensemble de la ligne 18 du Grand Paris Express. Edeis élabore le cahier des charges et assure son suivi à toutes les phases du projet. Nous pilotons aussi la certification HQE (haute qualité environnementale) du centre de maintenance. L’écoconception se retrouve autour de différents axes comme l’insertion d’un viaduc dans le grand paysage, la réduction des consommations et des nuisances des gares, la gestion des eaux pluviales mais également la gestion des terres excavées lors de la construction des tunnels ».
« Le Grand Paris est un chantier au cœur de la ville, dans un tissu urbain très dense, ajoute Benoît Moncade, directeur général de Spie Batignolles Génie Civil. Nous avons un défi d’acceptabilité́ primordial pour les riverains du fait des nuisances créées, des flux pour les déblais… C’est un point d’attention permanent. » Cette gestion des terres excavées est donc au cœur de la stratégie de toutes les entreprises de BTP. La plupart du temps, les zones de chantier ne permettent pas de stocker les milliers de tonnes de matériaux. Pour minimiser ces installations et les emprises correspondantes, les entreprises ont dû innover pour pouvoir évacuer rapidement les déblais. Cela a été par exemple le cas grâce au système Carasol, seul capable d’analyser en seulement quelques heures – au lieu de 5 à 7 jours – les matériaux extraits du sous-sol avant de les orienter le jour même vers les sites où ils seront réutilisés. « Nous avons décidé de mettre au point – en partenariat avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) – un système permettant d’obtenir un résultat quasi immédiat, en moins de deux heures, se félicite Pascal Hamet, directeur du lot nº1 de Ligne 16 lot 1 chez Eiffage Infrastructures. Nous avons consacré deux ans de recherche pour concevoir le système Carasol, sa conception est un défi que nous nous étions lancés dès que nous avions répondu à l’appel d’offres, car nous savions que nous aurions besoin d’un tel outil. Sans lui, le délai aurait été beaucoup trop long par rapport aux superficies d’emprises dont nous disposons sur ce type de chantier. Cela aurait alors nécessité de transporter les déblais sur une plateforme intermédiaire, d’attendre les résultats puis de reprendre ces déblais pour les emmener vers l’exutoire définitif. » Avec toutes les nuisances supplémentaires qu’auraient induit de telles capacités de stockage.
La vie sur les chantiers du GPE est aujourd’hui réglée comme du papier à musique. Tout ou presque a été mis en place pour minimiser les pollutions sonores et atmosphériques et pour rendre acceptable l’activité des géants du BTP auprès des riverains de la Grande couronne. Et ce sont eux qui – dans quelques années – seront les premiers bénéficiaires du chantier du siècle.