Cohérence et régulation

Cohérence et régulation

Paris Vox (Tribune) – Chaque semaine, en partenariat avec Radio Libertés, nous publions la retranscription écrite de la chronique d’actualité et d’analyse d’Arnaud De Robert. Aujourd’hui, il se penche à nouveau sur la “méthode Macron”.


« Ah ce Macron quel guignol. Et sa femme, elle est vieille et moche. Et puis, il s’est ridiculisé avec Trump, on aurait dit un gamin avec son père. De toute façon ce type est insipide. Macron c’est juste du vent. Toute cette présidence n’est une escroquerie ! » Et blablabla et blablabla … Parce que j’entends et je lis trop souvent ce genre de propos, je me dois ce matin de faire redescendre tout le monde dans le champ du réel. Il y a quelques jours, un sondage donnait encore pour le président de la république un bon 33 % de français satisfaits. Mais surtout, un autre sondage, il y a quelques semaines, expliquait que si la présidentielle avait lieu ces jours-ci, Emmanuel Macron serait élu mais avec un score supérieur de 10 points à celui de 2017 ! Alors, bien sûr, on sait ce que valent les sondages, les nécessaires précautions à garder vis-à-vis de ces chiffres.

Mais, n’en déplaise aux professionnels du persiflage qui dédaignent à le considérer, Macron n’est pas un épiphénomène. Ce n’est pas non plus un tartuffe, ni un gentil benêt propulsé par un pouvoir occulte. Ces lectures trop faciles, donc séduisantes, passent à côté de l’essentiel. Essentiel qui ne réside pas non plus dans le débat mi-comique, mi-tragique pour savoir si Macron est jupitérien, princier, monarchique, impérial, romanesque ou que sais-je encore. Voilà bien un truc de journalistes-groupies. Non, l’essentiel est bien de comprendre, même si cela fait mal aux oreilles, qu’Emmanuel Macron et ses équipes sont les seuls, du moins en ce moment, à apporter cohérence et régulation. Oui plutôt l’illusion de la cohérence et une régulation savamment calculée. Tout cela relève bien sûr de l’ingénierie sociale et du story-telling, mais le résultat est là. Avec un discours pratiquement identique à celui de ses prédécesseurs Hollande et Sarkozy – dont il a d’ailleurs su garder le meilleur – Macron réussit. Et son succès n’est pas du tout fondé sur l’efficience de sa politique mais sur l’apparence de cohérence qu’il sait propager et sur une régulation des faits sociaux qu’il sait gérer.

son succès n’est pas du tout fondé sur l’efficience de sa politique mais sur l’apparence de cohérence qu’il sait propager et sur une régulation des faits sociaux qu’il sait gérer

Macron et ses équipes ont à cet égard parfaitement saisi l’état de l’opinion. Affaiblis par des dizaines d’années de chaos, les français sont assoiffés de sens. D’où le succès du populisme. Populisme dont là aussi les équipes de Macron ont bien analysé les ressorts pour fabriquer un discours de recomposition dont les éléments sont adroitement dosés : un soupçon de fermeté (toujours apparente), de l’humanité (toujours apparente), une stature internationale, un sens de la formule, quelques réformes assez clivantes et le culot de les mener. On retrouve cet équilibrage cohérence-régulation dans tous les gros dossiers du moment : SNCF, 1er Mai, vagues migratoires, plan banlieues, universités occupées … A chaque volet son histoire et son traitement. Et chaque dossier est habilement isolé, singularisé. Pour les facs, fermeté et évacuations différées. Pour le 1er Mai, silence sur la journée mais régulation sacrément audacieuse ayant consisté à retarder suffisamment l’intervention des forces de l’ordre pour reléguer au second plan la mobilisation syndicale et dissuader l’ensemble de poursuivre sur les rassemblements de masse, pratiquement inéluctablement entachés de violence. C’est ingénieux et ça marche. Les français, fragiles, morcelés ont la sensation d’un mieux, d’en ensemble plus cohérent, plus opérant. C’est osé, mais cela permet de faire passer des réformes dont l’ampleur dépasse en une seule fois les multiples et timides tentatives précédentes. Cette audace calculée, vendue pour une effronterie un peu franchouillarde est aussi la garantie de pouvoir solidifier ceux qui comptent financièrement (la droite de patrimoine, assurément la plus séduite par cette première année de quinquennat) et ceux sur lesquels on compte s’appuyer (les minorités visibles, ethniques ou sociales). Et le comble, c’est que le français moyen n’est  bien sûr pas compris dans ces catégories alors même qu’il applaudit la politique développée ! Oui, cela marche et même avec un type que l’on dit faible. Pourquoi ? Parce que nous sommes encore plus faibles pardi ! Et cette faiblesse nourrit la sécession oligarchique. La dominance qui s’installe à tous les atours du régime satrapique. La captation culturelle est là, la domination financière aussi, l’occupation de l’appareil étatique, tout comme le contrôle médiatique. La question n’est donc plus de savoir si Macron va réussir, il a réussi ! En tuant ce qui reste de peuple et de Nation certes, mais cela ne signifie rien en ère post-politique. Orwell ne s’est finalement trompé que de date. Bienvenue dans le monde d’après ! Bonne semaine.