De la paranoïa en Amérique

De la paranoïa en Amérique

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Paris Vox (Tribune) – Chaque semaine, en partenariat avec Radio Libertés, nous publions la retranscription écrite de la chronique d’actualité et d’analyse d’Arnaud De Robert. Aujourd’hui, il revient sur le dernier massacre qui a frappé les Etats-Unis et sur le traitement médiatique de celui-ci.


A chaque tuerie de masse aux Etats-Unis c’est pareil. Les journalistes-idéologues pavloviens de la bien-pensance, qui dictent pour nous le Bien et le Mal,  refont à longueur d’articles et d’émissions le sempiternel procès de la législation américaine sur les armes. L’Amérique en état de choc, le malaise des armes en vente libre, les propos ambigus de Donald Trump, le puissant lobby de la NRA, la National Riffle Association, l’incongruité du deuxième amendement, cet incroyable article de la constitution américaine qui autorise la détention d’armes à feu … Tout y passe et avec force détails sur les horreurs des tueries, avec des reportages à la tonalité anxiogène montrant des conventions d’armes à feu où acheter un fusil d’assaut se révèle aussi simple que l’achat d’une bonne baguette chez le boulanger du coin. Aussi loin que peuvent me porter mes souvenirs télévisuels, je crois bien avoir toujours vu des séquences de ce type. Et chaque tuerie nous procure une nouvelle mise en scène de l’irresponsabilité dénoncée des américains – du président au citoyen – incapables d’appliquer ce qui aux yeux de nos beaux censeurs-moralistes est pourtant une réponse évidente : une législation restrictive voire répressive sur les armes. Et pour bien appuyer leurs propos, nous avons droit aux reportages sur les milices paramilitaires d’extrême-droite, toujours plus nombreuses, organisées et armées qui, c’est sûr, vont un jour prochain (on attend depuis trente ans) tenter un coup d’Etat aux Etats-Unis. D’ailleurs, la plupart du temps les premières infos sur les tireurs et tueurs de tuerie de masse font toujours état d’une appartenance à l’extrême-droite américaine. Le jeune Nikolas Kruz, qui vient de massacrer des dizaines de personnes dans son ancien lycée, n’y a pas échappé, ce qui permet comme d’habitude de relier patriotisme et nationalisme à l’idée de mort.

Voilà donc un énième facho, passionné d’arme qui est passé à l’action. Fin de l’histoire, les gentils se rassurent, l’ennemi prioritaire est donc toujours le même et nous avons raison de lutter contre lui. Il faut hélas creuser un peu plus et dans la presse étrangère pour trouver une fois de plus des analyses honnêtes, nuancées qui parlent d’un jeune homme désocialisé, à l’histoire de famille très triste. Il faut lire la presse américaine pour entendre les témoignages des lycéens survivants, peu surpris de connaitre l’identité du tueur. « On se disait toujours qu’un mec comme lui pouvait un jour dézinguer tout le lycée ».

La cause première ne serait donc ni la radicalité politique, ni l’amour des armes, mais un mal-être profond

Aï ! La cause première ne serait donc ni la radicalité politique, ni l’amour des armes, mais un mal-être profond ? Oui,  en voilà une bonne question ! Celle que nos fainéants de journaleux ne daignent pas poser. La question d’un pays qui fournit à l’actualité plus de tueries de masses que toutes les démocraties occidentales réunies. La paisible Suisse ou encore la Finlande sont toutes deux des nations dont le nombre d’armes par habitant est un des plus élevés au monde et elles ne font pas la Une quatre fois par an pour des flinguages d’envergure. Peut-être qu’il se pourrait alors que ce soit culturel ? Peut-être que ce qui est à mettre en cause c’est la capacité de la sous-civilisation américaine à cultiver la paranoïa à grande échelle, l’abrutissement de masse, le nihilisme du quotidien et à nous en abreuver à longueur de séries télé ? Peut-être que la seule croyance en l’argent ne suffit-elle pas pour fonder une nation et équilibrer les gens ? Peut-être finalement que le paradis capitaliste nord-américain se révèle être l’enfer humain qu’il a su si bien exporter à travers le monde ? Toutes ces questions ont été il y a longtemps déjà traités par de nombreux penseurs et mises en images par des réalisateurs comme Mickael Moore ou des cinéastes comme Gus Van Sant. Et ces questions appellent évidemment à la remise en cause du mode de vie américain comme standard du bonheur universel. Il n’y aura donc rien car on ne remet pas en cause le modèle dominant. Surtout si comme aujourd’hui, ce modèle économico-social tend à devenir Le Modèle ultime ! Alors il vaut mieux se payer un débat que l’on sait stérile et sans suite sur la vente d’armes à feu. Il vaut mieux continuer à frissonner face aux images des méchants miliciens qui tirent en rafale. Il vaut mieux faire l’économie d’une analyse du cancer qui ronge l’Occident et l’Europe et qui répand cynisme, nihilisme, relativisme, individualisme et hédonisme chez nos vieux peuples. Demain tous américains, yeah ! Anders Breivik en était déjà une incarnation. Ça promet ! Bonne semaine.