Paris Vox – Chaque semaine, en partenariat avec Radio Libertés, nous publions la retranscription écrite de la chronique d’actualité et d’analyse d’Arnaud De Robert. Aujourd’hui, il se penche sur l’incroyable amnésie qui semble toucher la nation française au sujet de ses glorieux disparus au combat.
Le 11 novembre 2017 aura donc été en France un samedi comme les autres, même pas un jour férié. On passera rapidement s’il vous plait sur l’hommage présidentiel du matin au soldat inconnu – gestuelle convenue, cérémonie mécanique et insipide, petit théâtre sans âme du pouvoir énarchique – pour évoquer le bilan peu reluisant de ce samedi : une défaite de l’équipe de France de rugby face à la Nouvelle-Zélande et un envahissement des centres villes par des minorités marocaines tapageuses, ivres d’une liesse arrogante après la qualification du Maroc au mondial de football. Curieuse image d’ailleurs que cette forêt de drapeaux marocains si près de l’arc de triomphe, si près du soldat inconnu qui n’a jamais sans doute été aussi seul et inconnu que ce soir-là.
Pour le reste, c’est comme si le pays n’avait plus de mémoire. Rien nulle part. Rien avant le fameux match de rugby, pas une minute de silence, pas une évocation sur les écrans géants du stade de ces formidables joueurs All Blacks, français, anglais, irlandais, écossais, gallois, australiens ou sud-africains morts au champ d’honneur en 14-18. 144 internationaux de Rugby sont morts pendant le premier conflit mondial, tout de même. Cela valait bien quelques images, non ?
Rien non plus à la télévision – mais qui s’en étonne encore – à part les sempiternels mais très émouvants montages d’images colorisées de la Grande Guerre. En dehors des commémos de village, au cours desquelles il est bien difficile d’échapper aux blablas confis des élus et aux crédos pacifistes de collégiens bigarrés, rien. Rien qui ne permette à ce pays de se rappeler que ses anciens se sont jetés pendant quatre ans dans la plus formidable conflagration que l’Histoire de l’Europe ait connu. Rien sur ces peuples entiers qui sont allés en arme à la rencontre de leur destin. Rien sur les jeux de puissance, d’argent et de domination qui ont conduit les fils d’une même civilisation à s’entretuer dans une effroyable guerre civile. Rien sur ces hommes qui se sont battus comme des lions dans des conditions inimaginables pour un drapeau, pour l’honneur, la fourragère, l’empereur, les copains ou plus simplement encore par devoir. Rien enfin qui leur rappelle que cette guerre a fait en France près de deux millions de morts et plus de quatre millions et demi de blessés, touchant chaque famille, chaque village et fauchant toute une génération de jeunes gens vigoureux, qui ont ensuite gravement manqué à ce pays. Rien donc sur cette saignée qui a précipité le grand déclin de l’Europe, amorcé le conflit suivant et déterminé en grande partie ce que nous vivons aujourd’hui.
Doit-on pour autant blâmer les français ? Doit-on en vouloir à ce peuple de ne plus commémorer ? Ce serait me semble-t-il trop facile. Parce que cet oubli est organisé. D’abord par l’écart temporel. Nous frôlons le siècle de distance avec la Grande Guerre et dans un monde ou nos concitoyens ont du mal à se rappeler ce qu’ils ont fait hier, cela compte. Mais s’il ne s’agissait que de l’action du temps, un vigoureux travail de mémoire contrebalancerait l’oubli. Les britanniques y parviennent bien chez qui les épinglettes coquelicots pullulent aux revers des vestes le 11 novembre alors que le bleuet de boutonnière est impossible à trouver ici. Oui, un travail de souvenir, une volonté affirmée politiquement, scolairement, nationalement de marquer la Grande Guerre du sceau de l’immortalité mémorielle. Or c’est un tout autre programme que l’on a déroulé pour les français. Celui du lissage mental, de l’effacement mémoriel, du désapprentissage de l’Histoire comme science de la conscience nationale. La flamme a été éteinte. Là où il n’y a plus rien à aimer, passez votre chemin dirait Zarathoustra, oui mais pour aller où ? L’an prochain, il y a fort à parier que l’oligarchie mettra le paquet sur les commémos, histoire de finir en « beauté », histoire aussi et surtout d’en finir tout court avec cette guerre.
Au-delà, il sera sans doute de notre seul ressort de faire en sorte que le passé ne meurt pas. Il sera de notre responsabilité de dire aux plus jeunes l’Histoire de notre peuple et des peuples de notre continent qui un jour entrèrent en guerre. Non par nostalgie, esprit de revanche ou passéisme, mais parce qu’il est impératif que nos enfants portent en eux la plus longue mémoire, celle qui féconde l’avenir. Bonne semaine !