Paris Vox – Rencontre avec Olivier Bault, journaliste français vivant en Pologne. Il nous apporte son éclairage sur la situation en Pologne et sur la perception des mesures prises en France là-bas.
Olivier, pourriez-vous présenter à nos lecteurs quels sont les médias pour lesquels vous écrivez ?
Je suis le correspondant à Varsovie du quotidien Présent pour lequel je traite l’actualité polonaise mais aussi plus généralement européenne. Je suis également le correspondant à Varsovie du Visegrád Post, et je publie des articles sur l’actualité française et européenne pour l’hebdomadaire libéral-conservateur polonais Do Rzeczy et pour le site kurier.plus de l’Institut de coopération polono-hongroise Wacław Felczak. Par ailleurs depuis quelques temps je présente une revue de presse européenne chaque vendredi matin sur les ondes d’une radio polonaise, Radio Wnet.
Comment continuez-vous à faire vivre l’information malgré la crise sanitaire actuelle ?
Même en temps normal, je travaille le plus souvent depuis chez moi. La seule difficulté aujourd’hui, c’est d’avoir les enfants à la maison, ce qui ne favorise pas la concentration même si l’ambiance n’en est que plus joyeuse ! Pour ce qui est de ma revue de presse hebdomadaire à Radio Wnet, je ne me rends plus au studio et cela se fait par téléphone. C’est la même chose si une autre radio me demande de commenter l’actualité française, ce qui arrive de temps en temps. En revanche, si la situation devait se prolonger, la presse papier pourrait se trouver en grosse difficulté et cela aurait des répercussions sur ma situation personnelle. Mais pour ce qui est de faire vivre l’information malgré la crise sanitaire actuelle, cela ne pose aucun problème avec les techniques de travail actuelles.
Quelle est la situation en Pologne et quelles décisions ont été prises par les autorités ?
Touchée plus tardivement que la France par l’épidémie, avec un premier cas diagnostiqué le 4 mars (il s’agissait d’un Polonais rentrant d’Allemagne), et de nouveaux cas signalés tous les jours depuis le 7 mars (au 30 mars il y en avait déjà 1905), la Pologne a réagi à un stade plus précoce que la France. Depuis le 11 mars, les écoles, universités, cinémas, théâtres et musées sont fermés. Les restaurants et bars ne peuvent servir que des consommations à emporter ou les livrer à domicile. Les centres commerciaux ont également été fermés à l’exception des grandes surfaces alimentaires qu’ils abritent. En revanche, en date du 30 mars, les magasins restent ouverts, sauf ceux qui ont décidés d’eux-mêmes de fermer du fait du nombre réduit de clients. Les Polonais étant invités à rester chez eux, avec un confinement général décrété depuis le 25 mars, les rues se sont en effet vidées, ce qui ne favorise pas le commerce. Précisons toutefois que les conditions du confinement en Pologne ne sont pas aussi strictes qu’en France puisqu’il n’y a pas de déclaration à remplir, que l’on peut sortir se promener à condition de respecter une distance d’au moins 1,5 m entre les personnes et de ne pas former de groupes de plus de deux personnes ne vivant pas sous le même toit, et que les entreprises restent ouvertes. Dans les transports en commun, par exemple, le nombre maximum de personnes autorisées est de la moitié du nombre de places assises, mais dans les églises il ne doit pas y avoir plus de cinq fidèles, ce qui est revenu à interdire les messes ouvertes au public depuis le 25 mars. Avant, depuis le 11 mars, les rassemblements, y compris dans les églises, étaient encore autorisés jusqu’à 50 personnes. La Pologne a aussi été un des premiers pays européens à fermer ses frontières et elle l’a fait dès le début de l’épidémie sur son territoire. C’est d’ailleurs dommage qu’elle ne l’ait pas fait deux ou trois semaines plus tôt car nous aurions évité les mesures de confinement, mais personne en Europe n’a malheureusement voulu prendre ces décisions de bon sens dès le mois de janvier, comme l’a pourtant fait avec succès un pays comme Taïwan. Toujours est-il que depuis le 15 mars seuls les Polonais et étrangers avec un permis de résidence peuvent venir en Pologne, mais ils doivent rester en quarantaine chez eux pendant 14 jours, avec des contrôles de police et par application de smartphone tous les jours, et de lourdes peines en cas de violation des conditions de quarantaine.
Quel regard portent les médias polonais sur la gestion de la crise en France?
C’est le même regard qu’ils portent sur la gestion de la crise en Italie et en Espagne: celui d’une gestion désastreuse, avec des décisions prises trop tardivement, qu’il ne faut surtout pas reproduire, d’autant que la Pologne, moins riche, n’a pas un système de santé aussi performant que ces trois pays et que les conséquences d’une perte totale de contrôle sur la propagation de ce coronavirus, comme dans ces pays, pourraient être tragiques.
Les Polonais n’ont pas compris que la France, où il y avait déjà plusieurs milliers de cas confirmés de COVID-19, ait décidé de conduire des élections. Le 15 mars, quand les Français étaient appelés à se rendre en masse dans les urnes, en Pologne où il n’y avait encore eu qu’une centaine de cas de confirmés, les enfants n’allaient déjà plus à l’école depuis plusieurs jours et les frontières venaient même d’être fermées pour cause de menace épidémique ! Il est vrai que les élections présidentielles polonaises, prévues pour le mois de mai, sont elles aussi maintenues pour le moment, mais personne ne doute qu’elles seront reportées si l’épidémie dure encore à ce moment-là.
Nous laissons conclure librement
Il est trop tôt pour dire si les mesures prises au début de l’épidémie en Pologne permettront de maîtriser à peu près l’épidémie comme en Corée du Sud. Comme dans ce dernier pays, les autorités cherchent à isoler chez elles uniquement les personnes ayant été au contact de porteurs du virus, et il y avait déjà au 30 mars plus de cent mille personnes en quarantaine. Le nombre de tests réalisés chaque jour augmente, avec plus déjà de 4000 tests chaque jour alors qu’on n’avait pas encore dépassé la barre des deux mille malades. Même si les autorités ne parviennent pas à stopper la propagation, elles se seront donné plus de temps pour se préparer puisque pendant ce temps des hôpitaux ont été préparés, on augmente le nombre de respirateurs et on commande des lots de masques et autres équipements et produits de protection. Au même stade de l’épidémie, il y avait déjà 12.000 malades cas confirmés en France, et près de 25.000 en Espagne et en Italie, avec des centaines de morts dans chacun de ces pays contre seulement 26 en Pologne.