Symbole de la théorie des rigueurs salutaires et de la violence auquel notre société moderne n’est plus habituée, le gibet de Montfaucon est assez peu connu des Parisiens. Retour en plusieurs épisodes sur l’histoire de ce haut lieu de l’exécution de la justice à Paris.
Description du fameux gibet
Sa construction, fort rudimentaire, se composait d’une masse de pierres brutes, cimentées en maçonnerie, et formant un carré long surmonté d’une plate-forme. On y montait par une large rampe en pierre dont une solide porte revêtue de fer fermait l’entrée. Sur trois faces du carré s’élevaient seize piliers en pierre de taille, d’une hauteur de trente-trois pieds, reliés entre eux par des poutres de bois auxquelles étaient fixées des chaînes de fer destinées à pendre les condamnés. C’est à ces gibets, appelés aussi fourches patibulaires, que l’on exposait les cadavres des suppliciés, soit qu’ils eussent été exécutés là ou ailleurs.
De longues échelles étaient dressées perpétuellement le long des colonnes, et au centre de la plate-forme s’ouvrait une cave servant de charnier. Il y eut des époques où plus de soixante corps se balancèrent à la fois au gibet de Montfaucon. Les chiens et les corbeaux, attirés par une proie assurée, hantaient sans cesse cet affreux endroit, d’où s’exhalaient des miasmes pestilentiels. En 1761, le gibet avait été transporté au pied des Buttes-Chaumont. On n’y exposait plus les coupables; mais les piliers et leur disposition avaient été conservés comme signe de la justice royale, et transportés dans un enclos faisant l’angle nord de la route qui conduit à la barrière du Combat. C’est dans cet emplacement qu’on enterrait les suppliciés. Ils y étaient amenés la nuit, aux flambeaux, par le bourreau et ses aides.
La Révolution détruisit le gibet ; mais on continua à faire de ce lieu le réceptacle de toutes les immondices de Paris. Pendant de nombreuses années, Montfaucon répandit encore sur les quartiers du Temple, de Belleville et de La Villette, des émanations nauséabondes et insalubres. Enfin, on a fait disparaître la voirie il y a une dizaine d’années, et les localités qui avaient autrefois souffert de ce voisinage vont être désormais saturées de parfums.
Nous ne scellerons pas l’épitaphe de ce cloaque du vieux Paris sans dire un mot de la célèbre saturnale qui s’y accomplissait naguère encore : la descente de la Courtille. Le mercredi des Cendres, au matin, toute une population carnavalesque, ramassis de débauchés de bas lieu, sortait de tavernes hantées par l’orgie nocturne, et venait se ruer sur les boulevards, avec des lazzi, des jurements, des cris, des chants cyniques. C’était un spectacle pittoresque peut-être, mais laid et écœurant sans nul doute, que celui de ce tourbillon d’hommes et de femmes abrutis par ces joyeusetés grossières.
Il faut reconnaître que le public des barrières a notablement réformé ses mœurs depuis cette époque peu éloignée. Aujourd’hui, ouvriers et artisans sont plus soigneux de leur dignité. Ils commencent à comprendre qu’il est de commun précepte aux personnes de toute condition d’apporter des limites à l’expansion des folles joies. L’éducation, en se généralisant, purifiera le goût de plus en plus, et de telle sorte, nous l’espérons, qu’on en viendra à ne chercher les plaisirs dont l’activité humaine réclame le besoin que dans dépures et douces jouissances.
Germain Boué