« En prison, le gardien sait comment il entre, il ne sait pas comment il va sortir ! »

« En prison, le gardien sait comment il entre, il ne sait pas comment il va sortir ! »

Paris Vox – Retour sur le mouvement de grève des surveillants de prison il y a quelques semaines avec Fadila DOUKHI, première surveillante au Centre Pénitentiaire de Nancy-Maxeville  (54). Fonctionnaire du milieu carcéral depuis plus de 18 ans, Fadila DOUKHI, déléguée générale Force Ouvrière, est une actrice incontournable de cette vague de protestation dans plusieurs centres de détention du Grand Est. Elle revient sur  « le manque de reconnaissance de notre travail », et sur « la situation préoccupante au sein du milieu carcéral. » Commentaire.


PV : Le mouvement de protestation fait suite à une agression le 11 janvier dernier de trois  surveillants à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). Quelle est la situation dans les prisons françaises en 2018 ?

Fadila DOUKHI :  « Il y a eu cette agression bien sûr, mais c’est tous les jours comme ça. L’autre agression notable qui a été un élément déclencheur du mouvement, c’est l’agression à la prison de Borgo (Haute-Corse). Qui est par ailleurs un acte terroriste. (http://www.leparisien.fr/faits-divers/corse-deux-surveillants-de-la-prison-de-borgo-agresses-par-un-detenu-19-01-2018-7510122.php) A force, c’est terrible de faire ce constat, mais cela ne nous surprend même plus. Tout récemment, encore une nouvelle agression a eu lieu à Nancy. Je suis surprise qu’il n’y ait pas eu de mouvement avant. Dites vous que l’on est à 4 500 agressions physiques dans les prisons en France en 2017.  Et il s’agit simplement des agressions recensées. On ne parle pas des insultes, des menaces, des pressions quotidiennes que subit le personnel carcéral. C’est donc minime comme statistique. Aujourd’hui les éléments de loi jouent contre nous. L’article 57 du code de procédure pénale nous empêche de fouiller les détenus. On ne peut plus être maîtres de nos étages. Dans une situation pareille, le chiffre des agressions ne peut qu’augmenter. On connaît de nombreuses prises d’otages aujourd’hui, pour tout et n’importe quoi. On doit être sur tous les fronts avec le détenu : à la fois médiateur, psychologue, gardien, assistant social… Nous ne sommes pas formés pour ça. Livrés à nous mêmes aux étages, on doit s’occuper de ceux que la société ne veut plus voir. Et en tant que troisième force de sécurité publique, nous sommes invisibles. L’opinion publique ne sait pas ce que l’on fait. Du président au préfet, on remercie la police, on remercie les C.R.S, les pompiers… Tandis que la pénitentiaire demeure invisible. En clair, on souffre en silence. Et là, c’était la goutte de trop. »

PV : Le protocole d’accord avec la garde des sceaux, Christine Belloubet n’est donc, pour vous, pas satisfaisant ?

F.D : « Pas du tout. C’est insultant. Ils ont sorti ce protocole des tiroirs, mais le gouvernement ne répond pas de façon concrète à nos revendications. Rappelons que la majorité des grévistes demeure contre cet accord. Notre administration a voulu faire preuve de bonne volonté, mais c’est au niveau du gouvernement, de l’État, que c’est une catastrophe. En plus de la dangerosité grandissante du métier, de la représentation quasi nulle auprès de l’opinion publique, et des difficultés de recrutement des agents, les miettes que l’on nous a données, c’est vraiment outrageant pour nous. Dites vous que durant la grève, les gendarmes, les C.R.S, ont dû nous remplacer pour « servir la gamelle » aux détenus, surveiller les étages etc… Et bien, venant d’un gendarme, pourtant habitué aux conditions de travail pénibles, ce dernier m’a confié que « même pour 5000 euros, je ne ferais pas ce travail ! » Déjà sous Jean-Jacques Urvoas (ndlr :garde des Sceaux du dernier gouvernement Hollande) la situation était plus que préoccupante. Rien n’a été fait. Ce protocole ne règle rien. Et l’histoire se répète ! La dernière grande grève qui nous a secoués, c’était en 1992. J’ai revu les images d’archives. Dans les grandes lignes, les agents voulaient les mêmes choses qu’aujourd’hui. Mais avec des partenaires sociaux qui se tirent dans les pattes, le mouvement ne pourra pas donner quelque chose de concret. »

PV : Précisément, il semble qu’il n’y ait pas d’unanimité de la part des syndicats quant à ce mouvement ?

F.D : « Il n’y en a pas, effectivement. C’est bien dommage. Les syndicats devraient être ensemble, dès lors où on œuvre pour la même cause. On est garant de la sécurité publique. Les syndicats se devaient de tenir tête à la Garde des Sceaux. L’UFAP-UNSA (ndlr:syndicat majoritaire au sein des surveillants pénitentiaires) a signé l’accord et a vendu le mouvement pour des compensations bien maigres. Nous avions trois volets de revendications : sécurité, statutaire, et indemnité. Au final, ce que nous avons eu et rien, c’est pareil. Et le comble, c’est que les soit disant éléments que nous avons obtenus étaient prévus sur le budget 2017. La dotation personnelle pour le matériel de sécurité, c’est déjà prévu pour les agents. Pour le reste ? Aucune vision sur la sécurité, pas de recrutement. Ça serait presque risible si ce n’était pas aussi décourageant. »

Fleury-Mérogis

PV : Aujourd’hui, quels sont les risques pour un agent de la pénitentiaire ?

F.D : « Ne nous voilons pas la face, un jour ou l’autre, l’un de nos collègues se fera tuer en service. Il y a en gros, un agent surveillant pour 80 détenus par étage. Agressions, violences physiques et verbales, attentat terroriste. Le gardien se dit toujours: « On sait comment on entre, on sait pas comment on sort! ». Vous imaginez bien que n’importe quel individu n’est pas serein s’il se dit ça tous les matins en arrivant sur son lieu de travail. On se dit souvent aussi : « Eux (les détenus) ils ont pris une peine, nous on a pris perpète… » A propos des risques, on parle souvent de grands centres de détention à Paris, à Lyon, à Strasbourg. Mais prenez Épinal. C’est un petit centre, mais durant le mouvement de grève, il y eu un incendie important, les étages étaient intenables.

Entre les armes fabriquées sur place, et les « projections » par dessus les murs des prisons, que ce soit des portables, de l’argent, de la drogue, de l’alcool, des chichas et même de la viande, il est impossible de surveiller tout le monde. La projection est un phénomène révélateur. A la prison du Haut du Lièvre à Nancy, c’est un grand classique, il suffit d’être un bon lanceur. Il y a des parachutages tous les jours. Dernièrement, une équipe de télévision de Complément d’Enquête qui filmait, a pris en flag des lancés. On a par la suite retrouvé du matériel pour démonter les boulons. Même les drones sont utilisés maintenant. (http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/08/16/un-drone-parvient-a-s-introduire-dans-la-cour-d-une-prison-de-valence_5172922_3224.html) Tout le matériel dernier cri, vous le trouverez en prison. C’est une micro-société qui sait s’organiser.

En plus d’un manque de discipline généralisé, puisque aujourd’hui tout passe par l’agression, le manque d’effectifs, le découragement des agents, la situation est explosive. »

PV : Le phénomène de radicalisation est-il de plus en plus prégnant ?

F.D : « Dès 2009 nous en parlions. Nous avions recommandé l’isolement, des quartiers isolés pour les terroristes islamistes (T.I.S). Mais même cela, ce n’est pas suffisant. Il faut du personnel formé pour ça, il n’y en a pas. Le ministère prévoit 1500 places pour des détenus dits « radicalisés ». C’est vraiment un minimum. Beaucoup sont déjà à l’isolement, mais la majorité est en détention normale, à côtoyer tous les autres. L’État laisse clairement des zones vacantes d’autorité et c’est donc une autre autorité qui s’installe. L’étanchéité avec les autres détenus est impossible. Et dans dans bien des cas, l’individu « radicalisé » n’est pas repéré. Prenez Coulibaly qui a fait de la prison à Villepinte. Il était « auxi » (ndlr: aide à la cuisine, au linge etc). Comportement nickel, « bonjour madame, au-revoir madame », exemplaire. Tout se mélange. La provocation joue beaucoup. Dès qu’il y a provocation ou agression par exemple, beaucoup nous disent « Allahu akbar ! ». Je vous assure que dans ce genre de situation, pour un agent en uniforme, et de surcroît féminin, c’est pas évident.  Au niveau des renseignements que l’on fait remonter, nous, agents sur le terrain, beaucoup ne sont pas lus. Il n’y a pas de suivi administratif, car l’administration est elle aussi débordée. Dès lors où un acte terroriste se déroule, la première chose que font les autorités, c’est vérifier si l’individu qui a commis l’acte n’est pas passé par la pénitentiaire. Ce qui est souvent le cas. Et bien entendu ça nous retombe dessus. Je pense que le ministère de la justice devrait être beaucoup plus écouté. Nous ne sommes pas le ministère de l’éducation nationale ou celui de la santé. C’est compliqué de se faire entendre. D’autant plus que notre ministère fait passer les détenus avant nous. »

surpopulation carcérale

PV : Des propositions pour améliorer les conditions de votre travail et limiter la population carcérale ?

F.D : « On parle toujours des trains qui arrivent en retard, jamais ceux qui arrivent à l’heure. L’administration pénitentiaire fait des choses magnifiques. Nombreux sont les détenus à avoir été sauvés par les agents. Alors ce qu’il faut faire ? (R)établir une discipline, et pas uniquement en prison. La prison est le reflet de l’extérieur, il ne faut jamais l’oublier. Limiter le travail administratif inutile. Car on passe désormais plus de temps à remplir des fiches, qu’à passer du temps avec les détenus, comme à l’hôpital. Du coup, on n’ a plus aucune ascendance sur la population pénale. Pour les détenus, réfléchir à la logique de l’aménagement de peine. Lorsque un prisonnier fait ce que l’on appelle une « sortie sèche », c’est à dire sans aucun projet derrière, sans avenir, vous pouvez être sûr qu’on le reverra d’ici peu. Sans prise en charge, sans suivi, c’est retour à la case départ. Un exemple :  une personne en récidive légale, attrapée en état d’ébriété au volant. Condamnée à trois mois. Enfermée alors que cette dernière avait un job, une famille. L’homme en question perd tout, et ça sera retour à la prison. Ce n’est donc pas la seule solution. Je regrette que les avocats, les magistrats, les conseillers de probation, les greffiers ne nous aient pas accompagnés dans ce mouvement de grève. »

PV : D’après vous, comment se profile la suite ?

F.D : « Notre régime pénitentiaire est plus laxiste que d’autre. En Allemagne, debout à 7 heures, lit au carré. Très peu d’agressions. Nous, on en donne trop aux détenus. Beaucoup d’étudiants ont, d’un point de vue matériel, moins pour vivre que beaucoup de détenus. Les moyens en France sont très mal distribués. On estime que nos collègues sont en danger aux étages. On est irritables. Rien n’est fait pour nous donner envie d’aimer notre travail. Beaucoup de surveillants espèrent des passerelles pour quitter la pénitentiaire. Beaucoup de calmants, d’alcool, de divorces, de suicides au sein de la profession. Aujourd’hui, rien qu’au niveau des recrutements, l’heure est grave. Notre métier n’attire pas. Rien d’étonnant à cela. Bon sang, un surveillant pour 80 détenus ! Bientôt ça sera un agent pour 150 détenus. On peut se dire que les prisonniers se surveillent eux mêmes. Les événements le prouvent largement. Retenez juste qu’il y a eu 4 500 agressions importantes dans le milieu carcéral sur toute la France en 2017. Comme dehors, la situation ne fait qu’empirer.»

 

Propos recueillis par François-Xavier CONSOLI