L’internationale des villes: le retour de la féodalité

L’internationale des villes: le retour de la féodalité

Paris Vox (Tribune) – Mondialisées, globalisées, «  boboisées », et de leurs pauvres, débarrassées ; depuis maintenant plus de 40 ans, les villes mondiales comme Londres, New-York, Singapour ou Paris sont les vitrines d’une certaine modernité. Leur dynamisme économique, une concentration universitaire de plus en plus importante, ou encore l’activité culturelle soutenue, font de ces lieux de véritables vitrines du capitalisme « en marche ». Et si ces villes mondiales n’avaient tout simplement plus besoin d’État ?


En juin 2016 se jouait un tour électoral qui allait faire grincer le consensus mondial : le Brexit. « Impensable retour en arrière » de la part des manants qui refusent le progrès et l’avancée du projet européen. La sécession électorale entre les centres urbains anglo-mondiaux et les campagnes britanniques désuètes auront fait surgir une chose importante (et loin d’être récente). D’un côté, les désiratas « conservateurs » des zones dites « rurales » , europeano-sceptiques, et désireuses de préserver un certaine mode de vie. Et de l’autre, les forces de « progrès » des espaces urbains, toujours impatients de « lendemain meilleur », celui-ci étant forcément mieux, puisqu’il est demain. Une emphase point du tout exagérée, s’il l’on en croit certains auteurs du World Economic Forum : https://www.weforum.org/agenda/2017/06/as-nation-states-falter-cities-are-stepping-up?utm_content=buffer84d82&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

Lors des débats sur le Brexit, nombreux sont les adversaires de ce dernier à avoir rappelé, qu’après tout, une agglomération comme Londres n’a en rien besoin du pays qui l’entoure. (http://www.independent.co.uk/voices/brexit-latest-london-independence-time-to-leave-uk-eu-referendum-sadiq-khan-boris-johnson-a7100601.html)

En effet, le discours ambiant quant à la confrontation des États aux problèmes dits « mondiaux » se résume à cette question : « Comment un État peut-il résoudre les problèmes soulevés par l’immigration massive, le terrorisme, les problématiques  environnementales etc ? » Un leitmotiv des dirigeants du monde qui laisse totalement de côté toute possibilité de résolution locale (et non mondialisée) de ces mêmes problèmes ; et des éclairés du progrès qui en sont à réclamer des pétitions pour revenir sur un vote qui ne leur plaît pas (https://www.change.org/p/sadiq-khan-declare-london-independent-from-the-uk-and-apply-to-join-the-eu). A croire que les démocrates aiment la démocratie quand ça les arrange.

Dans leur grande majorité, les réactions des anti-Brexit nous rappellent que ces grandes villes que sont Londres, Chicago, Paris, Berlin, Milan, Tokyo, Barcelone, n’ont objectivement, de par leur ancrage dans le capitalisme mondialisé, plus besoin de l’appareil politique qui les a façonné. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/classement-global-cities-2016

Tout comme la machine qui prend peu à peu son indépendance vis à vis de son créateur, les grands pôles urbains se détachent de la terre et des peuples qui les ont bâtis.

Le réseau mondial, contre le vieillot local

En effet, le rapport de force est du côté de ces grandes villes. Modernes, connectées, épicentres culturels, dynamiques économiquement, donc pourvoyeuses d’emplois (précaires pour la plupart mais qu’importe), les villes mondes plaisent aux jeunes, avides d’expériences et de salaires plus alléchants qu’en province, quand bien mêmes les loyers aient atteint un niveau astronomique. Terrain de jeu des grandes multinationales, ces dernières y trouvent une main d’œuvre corvéable et laborieuse, de l’ingénieur en informatique qualifié, à la technicienne de surface fraîchement débarquée d’une région sub-saharienne. Avec près du 2/3 de population vivant en zone urbaine d’ici 2030, un PIB principalement situé dans ces mêmes zones, les grandes villes provoquent déjà un déséquilibre géographique de plus en plus important au sein des nations. Avec des programmes comme le « Parlement Mondiales des Maires », « Villes Unies et Gouvernement local », « Le Réseau Mondial des Villes, Gouvernements Locaux et Régionaux » (UGCL), ou des réseaux comme « C40 cities » ou « City Protocol »,  ces métropoles mondiales, désormais fondées sur l’écologie et la data, font fi du pouvoir de l’État, et s’octroie un panel grandissant de gouvernances. (https://www.wedemain.fr/Face-a-l-immobilisme-des-Etats-cet-Americain-organise-le-Parlement-mondial-des-maires_a1736.html)

C’est dans ce sens que l’on peut parler de « nouvelle féodalité », ou comment ces réseaux de villes-monde s’approprient des pouvoirs régaliens en affirmant une autonomie de plus en plus importante. Se reposant sur des représentants venus du monde des grandes entreprises, de la banque, ces centres de pouvoirs séparés de l’histoire, enrichis du fumeux concept de « post-modernité », seront les fruits du cosmopolitisme politique le plus affirmé et du capitalisme le plus efficient et décomplexé qu’il soit. Des journaux comme Libération en font déjà leurs choux gras : http://www.liberation.fr/debats/2016/05/15/pour-un-grand-paris-du-multiculturalisme_1452815

Les nouveaux seigneurs, techno-gestionnaires, communicants, administrateurs d’entreprises ou avocats spécialistes des droits de l’homme, seront à la tête de villes-mondes gérées comme des trusts, à la pointe du progrès sociétal, et parfaitement organisés pour une forme aboutie du capitalisme. Les biographies de certains de ces maires parlent d’elle mêmes : Sadiq Khan à Londres, Giuseppe Sala à Milan, Anne Hidalgo à Paris, Bill De Blasio à New York, ou encore Rahm Emanuel à Chicago.

Dans cette progressive politique d’élimination des autochtones pauvres des centres urbains, pour les remplacer par des plus compétitifs mais moins exigeants en terme de contrat de travail, ce réseau de villes mondiales continuera à user du « green washing » pour faire passer la pilule du rinçage social. En digérant le principe du localisme, et en misant sur des foires aux légumes bio, en plein cœur de Manhattan ou de la City, l’illusion de « campagne » sera toujours préservée. Alors que comme nous le rappellent certains géographes, la partie majoritaire des populations nationales est laissée sur le bas côté de l’autoroute quadruple voie de cette globalisation générale : « Le problème principal n’est pas celui posé par les îlots de grande pauvreté, mais par des territoires de plus en plus nombreux en situation de grande fragilité. Et quelle est cette France en danger ? Celle de la périphérie, celle des villes petites et moyennes situées à l’écart des grandes métropoles mondialisées et compétitives intégrées, elles – avec leurs banlieues – dans l’économie globale. » Christophe Guilluy (https://www.letemps.ch/monde/2014/09/28/france-perd-vit-ecart-grandes-villes-mondialisees)

 

Ces royaumes citadins sont les vaisseaux mères de la société de demain : la fin de ce qui fait un monde d’hommes, pour un vaste territoire bétonné de méga-centre commerciaux où tous les jours seront un « Black Friday », des hall de gares et de terminaux d’aéroports, et de chaînes MacDo. Une humanité grise, des nomades pauvres et connectés dans un océan de solitude.

 

François-Xavier CONSOLI