Paris Vox – Dorénavant, Paris Vox publiera régulièrement la retranscription écrite de la chronique de commentaire d’actualité d’Arnaud de Robert diffusée dans la Matinale de Radio Libertés. Aujourd’hui, notre chroniqueur s’intéresse à l’Ecole Nationale d’Adminsitration et aux attaques dont elle est l’objet.
Amusante cette polémique au sujet de la suppression de l’ENA. L’affaire a commencé avec la proposition de campagne du candidat Bruno Le Maire de supprimer la haute école de l’administration pour la remplacer par un séminaire pour fonctionnaires méritants qui s’ouvriraient ainsi les voies vers les postes à grande responsabilité de la fonction publique.
Amusant de voir qu’à chaque campagne électorale présidentielle on nous ressort cette vieille rengaine. Amusant surtout de rappeler que le bon Bruno est lui aussi un ancien élève de l’ENA. Amusant enfin de répondre à Bruno Le Maire que l’ENA est précisément un séminaire pour fonctionnaires méritants, puisque 40 % des promotions actuelles sont constituées de fonctionnaires issus du concours interne, donc de gens qui ont réussi un concours difficile afin de s’ouvrir de nouvelles perspectives de carrière.
En fait l’ENA sert de bouc-émissaire.
En fait l’ENA sert de bouc-émissaire. Chaque campagne présidentielle étant, au moins depuis les 3 à 4 dernières, une période bilan qui met en relief l’inexorable effondrement de la puissance publique, il faut bien trouver un coupable et l’énarque représente la victime de choix. Au point d’ailleurs que plusieurs hommes politiques anciens énarques n’hésitent pas à déclarer vouloir la mort de l’école qui leur a conféré pouvoir et puissance. Ils sont vraiment prêts à tout y compris à se tirer des balles dans le pied.
Vous l’aurez compris ce n’est pas l’ENA qui est en cause. Et je ne défends à vrai dire pas non plus cette institution, fruit des tractations entre les syndicats de fonctionnaires et le Parti Communiste Français de l’immédiat après-guerre. Elle aurait sans doute besoin d’une réforme si ce n’est d’une refonte en profondeur. Elle trouve tout de même son utilité dans le fait que les affaires publiques requièrent des spécialistes que l’on ne trouve pas tous les jours sur le marché de l’emploi. La France, compte-tenu des enjeux stratégiques de la mondialisation a besoin d’une élite méritocratique. Et qu’elle soit formée par l’ENA ou par une autre école ne change pas fondamentalement la donne.
La France, compte-tenu des enjeux stratégiques de la mondialisation a besoin d’une élite méritocratique.
Mais encore une fois l’ENA n’est pas l’Etat et il est utile de rappeler en cassant un mythe pratique au passage que l’immense majorité des énarques travaillent dans les administrations, au service de l’Etat et ne représentent qu’une minorité de la classe politique. Minorité solide certes, mais pas plus importante numériquement que Polytechnique, Les Mines ou Ponts et Chaussées. Et il y aurait fort à dire aussi sur la classe des hauts fonctionnaires européens bien loin de sortir de l’ENA et qui est pourtant en charge de l’application des politiques européennes avec le succès que l’on connait.
Alors quel est donc enfin l’effet recherché par cette polémique ? Et bien tout simplement celui de l’écran de fumée. Quand le pays va mal, jeter l’énarque à la vindicte populaire ça fait bien, c’est facile et on est sûr que ça marche. Cet énarque que l’on a tant raillé exerce toujours son rôle pratique d’épouvantail. En voilà bien une de démarche bassement populiste. Car la faillite de ce pays n’en déplaise à monsieur Le Maire n’est pas due à la défaillance des énarques, ce serait trop simple. Un énarque est par définition rappelons-le un technicien de la chose publique, un expert. Il n’est donc pas en principe au fondement des décisions d’orientation des politiques publiques, mais doit en impulser la mise en œuvre et l’application. Et surtout, il reçoit des ordres … de qui ? Mais des politiques bien sûr. Et surtout de ceux d’entre-deux nommés ministres, premiers ministres ou élus présidents de la République. Que ces derniers soient ou non d’anciens énarques ne change rien au fond. Ils ont été élus, choisis par le peuple pour commander. Ils sont les seuls décideurs. Les échecs leurs sont donc directement imputables point barre.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que beaucoup d’hommes politiques participent au story telling d’une administration ingouvernable, de fonctionnaires et de hauts-fonctionnaires ingérables alors même que les fonctionnaires se plaignent eux d’une absence cruelle de décisions, d’orientations. On peut dès lors faire le constat que la priorité serait bien plutôt de repenser l’Etat et pas l’ENA. Car ce qui coince plus que tout dans ce pays c’est la totale impéritie de la classe politique, c’est l’absence d’incarnation du pouvoir, de verticalité décisionnelle.
La suppression de l’ENA ne constitue qu’un gadget, qu’un leurre. La seule chose à supprimer dans ce pays c’est l’oligarchie au pouvoir. Et ça c’est vraiment urgent ! Bonne journée.