Tour de tables : la Closerie des Lilas

Tour de tables : la Closerie des Lilas

 

Paris Vox – « Ce texte est le premier d’une série d’articles présentant les haut-lieux de la gastronomie et de la vie culinaire parisienne, à l’aune de leur histoire et de leur actualité. »

Propriété des richissimes Colette et Miroslav Siljegovic depuis plus de trente ans, siège d’un prix littéraire 100% féminin, terrasse préférée d’esprits aussi dispensables que Philippe Sollers et Guillaume Canet, proposant des cocktails vodka/nectar d’ananas à 18€, la Closerie des Lilas est un repaire boboïde qui n’inspire aujourd’hui que mépris aux esprits sensés et effroi à ceux qui ont encore la faiblesse de penser que l’on se rend dans une gargote pour y satisfaire son appétit et sa soif plutôt que pour y être vu.

Mais cet ancien relais de poste – dont la légende veut qu’il prenne place sur les ruines hantées du château de Robert le Pieux, deuxième roi de la dynastie capétienne, ce qui vous pose quand même un bonhomme – transformé en guinguette fleurie de lilas par François Bullier à la fin du 19eme siècle n’a pas toujours été aussi insipide et peu engageant.

Par exemple, Alfred Jarry, créateur d’Ubu Roi, auteur du Surmâle et inventeur de la Pataphysique, avait l’habitude d’y jouer de la gâchette en intérieur. Il a le premier utilisé le tir au revolver sur miroirs comme technique d’approche de ses contemporaines bien faites : “Maintenant que la glace est brisée, causons” déclarait-il ensuite aux jeunes femmes médusées mais néanmoins séduites.

Dans un autre registre, Lenine et Trotski, exilés à Paris, s’y retrouvaient régulièrement pour disputer – entre autres – des parties d’échecs. On ne peut qu’imaginer la teneur de leurs conversations au moment de partager le « capital » pour régler l’addition.

Un peu plus tard, à la belle époque des Montparnos, artistes et poètes libertaires des années 1920 qui avaient établi leurs quartiers et leurs ateliers à Montparnasse, emmenés par Paul Fort, Apollinaire, Cendrars et bien d’autres, l’endroit était un point de rendez-vous incontournable où l’absinthe coulait à flots et les bagarres étaient fréquentes et dantesques. La Closerie était alors un endroit où l’on se rendait pour vivre et non pour tromper l’ennui d’être en vie.

Plus récemment, en 1982, c’est en sortant d’un dîner à la Closerie que Jean-Edern Hallier est prétendument enlevé par les “Brigades Révolutionnaires Françaises”. En réalité, il s’agissait d’une farce, et de la dernière cocasserie que l’on peut associer à ce lieu qui fut pourtant longtemps non conforme.

Inspirons nous de l’histoire des mythiques lieux parisiens afin d’en créer de nouveaux dignes d’eux et de nous !

Hélène Rauffenstein