La persistance du risque terroriste islamiste en Europe et les légitimes inquiétudes qu’il suscite sont-ils en train de faire perdre tout sens de la mesure aux autorités ainsi que toute distance analytique aux médias ?
C’est en tout cas ce que peut laisser penser l’emballement ayant entouré, le 16 mars dernier, la perquisition de 4 « dangereux suspects » à Paris et dans la région parisienne. Et tout le monde de se féliciter de l’efficacité de nos services de police. Un nouveau projet d’attentat déjoué ! La multiplication des arrestations, la limitation des libertés individuelles et publiques et l’état d’urgence portent donc leurs fruits ! La prorogation de ce « système d’exception », en passe de devenir la norme, est donc souhaitable, pour ne pas dire indispensable.
Tout cela est bel et beau, mais qu’en est-il réellement du fond de l’affaire ? Il fallut attendre plusieurs heures et lire jusqu’à la dernière ligne des articles pour découvrir que « rien ne permettait pour le moment d’étayer les suspicions de la DGSI, aucune arme n’ayant été retrouvée lors des perquisitions. Seule une (1!) cartouche de kalachnikov non percutée, du matériel informatique et des supports numériques ont été saisis». Maigre arsenal pour des terroristes prêts à passer à l’action…
En tout cas, si vous possédez chez vous un ordinateur, une ou deux clefs USB et un souvenir d’une partie de chasse ou de la guerre de grand-papa, je vous conseille de vous méfier ! Pour un peu que vous ayez un passé militant ou syndical vous valant une « fiche S », 96 heures de garde à vue vous attendent peut-être !
A une époque pas si lointaine, face à des éléments matériels si dérisoires, on – la gauche la première – aurait sans doute parlé « d’arrestations arbitraires ». Mais les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan ont tout changé, autorisant un tour de vis juridico-policier que l’on pourrait désormais voir comme une inquiétante dérive. La menace terroriste islamiste – qu’il ne s’agit évidemment pas de nier ou de minimiser, surtout après le carnage de Bruxelles… – ne doit pas pour autant être un blanc seing pour le gouvernement et les forces de l’ordre, une autorisation permanente de s’asseoir sur l’état de droit. De l’état d’urgence à l’Etat policier, il y a un pas certes sensible, mais pas infranchissable…
Cette dérive – que certains pourront voir comme une instrumentalisation de l’islamisme à des fins médiatico-électoralistes – est d’autant plus curieuse que dans le même temps où l’on enferme des possesseurs d’une « cartouche non percutée », à Marseille, les bandes règlent leurs comptes à coups de kalashnikov en pleine rue et en toute impunité. La « sécurité publique » n’est-elle pas là davantage mise à mal ? Sera-t-il bientôt plus grave de consulter des sites « radicaux » sur internet que de trafiquer de la drogue au grand jour dans la troisième ville de France ?
Gardons en tout cas toujours en tête, la célèbre phrase de Benjamin Franklin: « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »
Olivier Hamond