Expo : Rosa Bonheur à Orsay

Expo : Rosa Bonheur à Orsay

Paris Vox – ROSA BONHEUR, DE SON VIVANT PEINTRE RÉALISTE À SUCCÈS, EST DÉSORMAIS « ICÔNE DE L’ÉMANCIPATION FÉMININE », « ICÔNE LGBTQI+ ». LE LABOURAGE NIVERNAIS VA-T-IL ÊTRE RENOMMÉ « LE GAY LABOUREUR » ?

Le plus drôle est que l’exemple de Rosa Bonheur dément la lecture féministe de l’histoire de l’art qui énonce que les femmes artistes ont été entravées par un patriarcat systémique. Au XIXe comme au XXe siècle, un artiste, homme ou femme, ne galère pas en raison de son sexe mais parce que son art n’est pas en phase avec l’art officiel ou à la mode (c’est tout un). Les impressionnistes, des hommes pour l’essentiel, ont peiné tandis que Rosa Bonheur a conquis très tôt les journalistes, les marchands, le public et les honneurs, sous la République comme sous l’Empire, et au-delà de nos frontières. En 1864, ce n’est pas dans l’atelier de Courbet ou de Cézanne que se rend l’impératrice Eugénie, mais dans celui de Rosa Bonheur – le château de Thomery, pas moins, acquis grâce au succès de ses œuvres et où l’artiste vit au vu et au su de tous avec une femme.

Si sexisme relatif il y eut, accusons-en plutôt un état d’esprit modelé par la misogynie des Lumières, solidement embourgeoisée dans le XIXe. Avec son grand talent, Rosa Bonheur « aurait été de l’Académie avant la révolution française », reconnaît le très républicain Théophile Thoré dans Le Constitutionnel du 17 avril 1847 – l’artiste n’a alors que 25 ans.

Et l’art, dans tout cela ? Les toiles de Rosa Bonheur n’échappent pas à cette règle qui veut que le réalisme, goûté par une époque positiviste en diable, soit ennuyeux (Labourage nivernais, 1849 ; Le marché aux chevaux, 1853). Cet inaccessible réalisme lui fait commettre des fautes d’art : tons louches, désaccords entre le ciel, le paysage et les animaux (Barque écossaise ; Muletier des Pyrénées). Ça tourne parfois au modèle pour canevas ou aux grands couvercles de boîte aux chocolats qu’offraient, dans mon enfance, de vieilles personnes (Le roi de la forêt). Si l’on veut voir comment Courbet, lui, accorde le paysage avec les animaux, on verra non loin de la sortie de l’exposition Remise de chevreuils (1866). La leçon est magistrale. Leurs contemporains préféraient la femme. La peinture de Rosa Bonheur « est de la peinture réaliste, mais sentie par une organisation fine et choisie, tandis que chez M. Courbet c’est la réalité grossière, violente, cynique », énonçait L’Indépendance belge (9 juin 1853)…

En fait, le talent de Rosa Bonheur éclate là où elle ne cherche pas l’effet réaliste. Dans les innombrables études d’animaux, en entier ou au détail (bouc, renard, lion, chien, bœuf, etc.), avec une craie fermement maniée ou un pinceau nerveux (Quatorze études de cerfs). Dans les compositions presque monochromes mêlant fusain, pastel, craies diverses – autrement dit quand la technique la contraint à abandonner la quête photographique –, qui sont ce qu’elle fait de plus personnel : troupeau traversant un lac (illustration), troupeau de bison, six études de têtes de chien, etc. Quand elle est le moins de son époque, elle est le plus elle-même. (Jusqu’au 15 janvier 2023.)

Samuel

Rosa Bonheur, Bœufs traversant un lac devant Ballachulish (Ecosse) ou Troupeau traversant une rivière. Entre 1867 et 1873. Fusain, crayon, pastel, crayons, encre su papier Paris, musée d’Orsay. © musée d’Orsay